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Quatrième partie : L’histoire de la providence de Dieu


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Nous avons trop tendance à ne considérer l’histoire qu’en surface et n’attacher d’importance qu’à ses circonstances extérieures : batailles, traités, élections, etc. Or, contrairement à nos préjugés, les événements les plus voyants ne laissent pas la trace la plus profonde dans l’histoire. Les grands conquérants, tels que Gengis Khan, Alexandre ou Napoléon connurent la gloire de leur vivant, mais que reste-t-il aujourd’hui de leurs immenses empires ? Par comparaison, les prophètes et les sages comme Moïse, Bouddha, Confucius, Socrate ou le Prophète Muhammad, menèrent une vie moins tapageuse, mais leur message, par son universalité, survécut à tous les bouleversements historiques. Le meilleur exemple n’en est-il pas Jésus lui-même ? Lequel de nos historiens ou de nos journalistes vivant à l’époque de Jésus aurait vu en lui plus qu’un chef d’une petite faction juive ? Aucune personne cependant n’eut un impact plus grand sur l’histoire.

D’une manière générale, ce sont les grands mouvements spirituels qui influencent l’histoire le plus en profondeur. Seules les entreprises fondées sur un idéal éternel et universel résistent aux atteintes du temps, car les hommes et les femmes de toutes les époques et de toutes les origines se retrouvent en elles. Par contre, tout ce qui est construit à partir d’un désir passager ou éphémère s’achemine vers une mort irrémédiable. Comme l’énonce la vieille maxime chinoise : « Ceux qui suivent le Ciel demeurent, mais ceux qui vont contre le Ciel périssent. »

En agissant selon son idéal originel, l’être humain permet à l’Esprit de Dieu de travailler en lui. D’une manière générale, l’esprit de Dieu se manifeste à travers tous les mouvements qui reposent sur un idéal d’amour, d’unité et d’universalité, même s’ils ne font pas directement référence à Lui. En fait, c’est la présence de Dieu, même dans les cas où elle n’est pas ressentie consciemment, qui soutient tous les courants positifs de l’histoire en leur conférant valeur et durée. Ainsi, Dieu est le principal acteur de notre devenir historique.

La progression générale du niveau de conscience et de spiritualité depuis les temps de la préhistoire nous indique que Dieu a constamment poursuivi Son action avec l’être humain dans l’histoire. En dépit de l’ingratitude et de l’ignorance de Ses enfants, Dieu ne les a jamais abandonnés et a toujours conservé Son intention de les tirer de leur déchéance. À travers une action progressive, se manifestant par l’éclosion des divers courants spirituels historiques, Dieu a voulu amener l’être humain à réaliser l’idéal pour lequel il a été créé. L’histoire est ainsi la révélation graduelle de l’idéal de Dieu à travers l’être humain. À son terme, le Royaume de Dieu sur la terre, aboutissement de l’idéal de Dieu, doit être instauré.

Cet idéal devait être réalisé dès l’origine par les premiers ancêtres de l’humanité, mais, à la suite de la chute, l’histoire se développa dans le sens du mal. L’histoire sera donc marquée par une progression parallèle des forces du bien et des forces du mal, s’accompagnant inévitablement d’un conflit fondamental entre ces deux forces incompatibles.

Malgré l’action spectaculaire des forces du mal, qui semblent parfois prêtes à subjuguer les forces du bien, la tendance générale de l’histoire, si l’on prend une perspective globale, va dans le sens de l’idéal de Dieu. De plus en plus de conditions favorables à l’unification de l’humanité sont remplies au fur et à mesure que l’histoire progresse. C’est ainsi qu’aujourd’hui toutes les barrières entre les différentes religions, disciplines, cultures et nations s’effondrent successivement, non sans provoquer des remous, mais en posant le fondement d’une humanité unifiée. Cette tendance historique actuelle est le résultat de l’action de Dieu qui cherche à faire converger vers le point d’unification suprême tous les efforts des hommes et des femmes.

 

Une conception  « responsabiliste de l’histoire »


Beaucoup de croyants adoptent une attitude fataliste à l’égard de l’action de Dieu dans l’histoire. Persuadés du caractère absolu de Sa volonté, ils assimilent l’action de la providence de Dieu au coup de baguette inexorable du Destin. Dès lors, il n’est plus tenu compte de la part d’initiative humaine. L’histoire devient le déroulement mécanique d’un plan établi par Dieu dès l’origine, sur lequel l’être humain n’a aucun pouvoir d’influence. Poussant la logique de ce raisonnement à l’extrême, l’on en conclut de même que la destinée et le salut dans l’au-delà de chaque individu sont entièrement prédéterminés par Dieu. D’une telle façon de voir provient la théorie de la prédestination.

Nous ne pouvons, quant à nous, souscrire à une conception prédéterministe de la providence de Dieu, qui aboutit à la négation totale du libre-arbitre humain. Ne contredit-elle pas d’ailleurs la présentation de Dieu que nous donne l’histoire biblique : celle d’un Dieu d’amour qui n’agit pas par la contrainte avec l’humanité ? De nombreux épisodes bibliques nous montrent clairement comment tous les événements ne se déroulent pas forcément en relation avec la volonté de Dieu. Ainsi, Dieu eut énormément de mal à dompter un peuple farouche comme Israël qui sans cesse se rebellait contre Sa volonté. La Bible nous montre Dieu exprimant Sa joie quand les êtres humains obéissent à Son commandement et Son courroux ou Son chagrin quand ils le transgressent : « Yahvé se repentit d’avoir fait l’homme sur la terre et Il s’affligea dans Son cœur » (Gn 5.5-7). Comment Dieu, s’ll avait prédestiné le comportement des humains à Son égard, pourrait-ll manifester Sa peine ou exercer Sa colère contre eux ? N’aurait-Il pas alors à S’en prendre à Lui-même ?

D’autre part, un Dieu qui plongerait délibérément l’humanité dans la souffrance et décréterait arbitrairement la damnation ou le salut éternels de chacun de Ses enfants serait un Dieu cruel et cynique. L’on se révolte à juste titre contre les dictateurs qui envoient des hommes et des femmes mourir de froid, d’épuisement ou d’humiliation dans des camps de travail. Combien plus scandaleuse serait l’attitude d’un Dieu qui délibérément ferait endurer à tous les souffrances de ce monde ainsi qu’aux damnés la souffrance éternelle ? Assurément, tout cela est totalement étranger à Dieu qui créa l’être humain par amour. L’existence du mal et de la souffrance dans l’histoire n’a rien à voir avec la volonté de Dieu dont le désir est de ramener à Lui le plus rapidement possible l’enfant prodigue qu’est l’être humain. Toutefois, Dieu ne peut forcer totalement la destinée humaine sans remettre en question les principes de Sa création qui lui accordent le libre-arbitre. En conséquence, le pouvoir de choix humain entre pleinement en jeu dans le processus de l’histoire. L’être humain, qui a pris l’initiative de se couper de Dieu à l’origine, devra assumer sa part de responsabilité sur le chemin qui le ramène à Lui.

Ainsi, le Principe divin adopte une conception « responsabiliste » de l’histoire, suivant laquelle l’effort humain intervient pour donner à l’histoire la direction conforme au Plan de Dieu. La réponse humaine à Dieu n’étant pas prédestinée, le processus de l’histoire restera donc indéterminé. Par contre, le but global de l’histoire peut être clairement défini suivant la volonté absolue et immuable de Dieu qui est de réaliser Son Royaume. En conclusion, l’histoire n’est, ni l’évolution anarchique de l’humanité suivant le caprice des individus, ni le déroulement automatique d’un projet préétabli à l’origine des Temps par le Créateur, mais plutôt l’acheminement graduel, imprévisible dans ses détails, de l’humanité vers l’idéal de Dieu.

 

L’être humain et la providence de Dieu


Dieu tenta à toutes les époques d’influer sur l’histoire de l’humanité, mais Il ne put agir qu’en mesure de la capacité de l’être humain à entendre Son appel. L’être humain, à la suite de la chute, se trouvait dans un tel état d’éloignement de sa position originelle que toute communication avec Dieu était rendue impossible. Sur une telle personne, une action directe de Dieu n’aurait eu aucun effet. Aussi, Dieu choisit de travailler à ce que l’être humain, avant de prendre conscience de son état de fils de Dieu, réalise plus largement sa nature originelle. Il entreprit de restaurer graduellement l’être humain, l’incitant à développer les facultés qui sommeillaient en lui. Toute l’histoire à partir des origines correspond à cet éveil lent et progressif de l’être humain à lui-même.

L’étude des sociétés archaïques nous montre de façon révélatrice que l’être humain primitif qui, précisons-le, n’est pas l’être humain originel mais l’être humain d’après la chute – demeure sous l’étroite dépendance de son environnement naturel. L’être humain primitif ressent sa propre puissance plus faible que les puissances de la nature autour de lui. ll n’a pas pris conscience de sa position de seigneur de la création, ni de l’autonomie de son âme, confondue et soumise aux forces de la nature.

Il devient nécessaire, dès lors, pour l’être humain, d’affirmer sa subjectivité et de s’arracher à son état de subordination à la nature. C’est à partir de cette rupture décisive que l’histoire de l’humanité se met en branle car, maître de sa conscience, l’être humain est en mesure de diriger sa propre histoire. Cet éveil de la conscience intellectuelle humaine doit se compléter d’un éveil de la conscience intérieure du bien et du mal. Ce double éveil ne s’opère pas sans heurts, car c’est à ce point que se manifeste dans toute sa violence l’instinct animal qui régnait jusque-là paisiblement sur l’être humain déchu et qui se voit soudain contesté.

Dès cet instant, l’histoire sera marquée par un terrible affrontement entre les deux tendances qui se disputent l’être humain. Chaque fois que les forces du bien tenteront de s’affirmer, les forces du mal mèneront une lutte sans merci pour en arrêter la progression. Ce conflit ne prendra fin qu’au terme de l’histoire avec la victoire décisive des forces du bien sur les forces du mal.

Contrairement à la vision dialectique marxiste suivant laquelle la contradiction est la force motrice de l’histoire, le conflit fondamental qui est en l’être humain n’est pas la cause du progrès. Tout véritable progrès historique est uniquement la conséquence de l’avancée de l’œuvre de Dieu et des forces du bien. Le déchaînement de violence que cette avancée suscite n’a rien à voir avec les principes de Dieu ; il n’est que l’effet inévitable du pouvoir accumulé dans l’histoire par les forces du mal. Du fait de l’emprise de celles-ci, les humains ne purent jamais établir une liaison durable avec Dieu.

Le problème qui s’est toujours posé à Dieu dans l’histoire est la permanence de ce pouvoir du mal qui détruit tout ce qui est vrai et pur dans le cœur humain. Ce n’est qu’à partir de l’instant où le désir humain rencontre la volonté de Dieu que ce pouvoir peut être éliminé. En vue de cela, il faut que l’être humain établisse des conditions précises qui cristalliseront en quelque sorte sa volonté intérieure d’obéissance à Dieu. Ces conditions formeront bouclier contre les forces du mal en apportant la preuve formelle du désir de l’être humain de retourner à Dieu. Ainsi, pour aider l’être humain à affirmer sa nature originelle, Dieu le placera dans des situations difficiles où il sera amené à choisir entre les attraits du monde déchu et son désir de s’unir à Lui. Si l’être humain surmonte victorieusement de telles épreuves, il s’ensuivra une clarification de sa conscience qui permettra à Dieu de lui prodiguer plus largement Ses bénédictions. Ainsi, par l’établissement de conditions favorables au travail de Dieu, l’être humain peut recréer toute sa personnalité dans le sens de Dieu. Établir ces conditions représente la part de responsabilité de l’être humain déchu, qui doit payer le tribut de ses fautes. Ce mode de purification intérieure correspond à ce que le Principe divin nomme « processus de l’indemnité ».

Le chemin de l’indemnité sera souvent un chemin de souffrance et de tribulations que l’être humain devra traverser sans fléchir à contre-courant des désirs égoïstes et matériels provenant de sa nature déchue. C’est à la loi de l’indemnité que Jésus faisait allusion quand il dit à ses disciples : « Entrez par la porte étroite. Large, en effet, et spacieux est le chemin qui mène à la perdition, et il en est beaucoup qui s’y engagent ; mais étroite est la porte et resserré le chemin qui mène à la Vie et il en est peu qui le trouvent » (Mt 7.13-14).

 

Le fondement pour recevoir le Messie


Le problème de l’être humain après la chute est qu’à partir de sa transgression du commandement de Dieu, il n’est plus en mesure de recevoir la parole de Dieu. Placé dans une situation d’ignorance totale, l’être humain déchu a constamment agi à l’écart de la volonté de Dieu. Avec une telle personne, Dieu n’a aucune base qu’ll puisse utiliser pour le sauver si l’être humain lui-même ne démontre pas son désir de retourner vers Lui. La première chose que l’être humain doit accomplir dans son mouvement de retour vers Dieu est de Lui manifester concrètement sa foi et son obéissance par un acte précis en accord avec Sa volonté. Un tel acte se cristallise sur un objet qui va être présenté en offrande à Dieu. Sur ce fondement, Dieu peut ensuite agir plus directement dans la vie de l’être humain. Cela constitue ce que le Principe divin nomme « fondement de foi », qui est la première étape dans le chemin de restauration humaine.

L’objet du fondement de foi est d’enseigner l’être humain à centrer ses aspirations sur Dieu et à se dégager de sa tendance à sacraliser tous les objets de ses passions. Cette tendance s’exprimait à l’époque de l’Ancien Testament par l’adoration d’idoles, mais elle s’exprime tout aussi bien aujourd’hui par le culte voué à l’automobile ou aux vedettes du spectacle.

Il ne se produit pas seulement à travers l’offrande que l’on présente à Dieu une substitution d’un Dieu à d’autres dieux, mais une opération plus subtile et complexe qui engage l’être humain en profondeur. Les cultes idolâtres consistaient à sacrifier un objet à la divinité pour en obtenir des avantages, sans engagement autre que matériel de la part de l’être humain. Dieu veut que celui-ci abandonne cette motivation de confort et d’égoïsme et se place lui-même dans la position d’objet du sacrifice par un plein investissement de son être dans l’offrande. Ainsi, l’offrande est là pour signifier à Dieu que celui qui la pose s’en remet à Lui inconditionnellement. Entre-temps, il s’est produit toute une mutation intérieure. L’attitude de l’être humain face au sacré s’est totalement transformée. Ce n’est plus la fascination passive qu’opère l’objet de ses désirs ou de ses craintes érigé en absolu, mais un élan spontané vers le Dieu transcendant qui emporte tout l’être et l’arrache des pesanteurs de sa nature déchue.

Le mouvement de don de soi total qui accompagne l’établissement du fondement de foi autorise ainsi la percée décisive de Dieu dans le cœur humain. Ensuite, celui qui a établi le fondement de foi doit faire fructifier ce qu’il a reçu de Dieu en le partageant avec les autres. Une telle personne devient la figure centrale pour la providence divine. Ainsi, Dieu va toujours centrer Son action au sein d’une humanité pervertie et indécise sur une figure centrale qui a suivi un chemin particulier de purification. C’est à travers cette figure centrale que la bénédiction de Dieu est transmise aux autres. Cela réalise ce que nous appellerons « le fondement de substance ». L’objet du fondement de substance est d’effectuer la séparation du bien et du mal en substance, non plus à un simple niveau individuel, mais au niveau de la famille, du groupe, de la société, de la nation et finalement de l’humanité entière.

Ainsi, Dieu utilisera toujours ce principe historique en deux temps : tout d’abord, Il testera dans sa foi une figure centrale, puis Il amènera les autres à se soumettre à elle. L’union à la figure centrale est un chemin de souffrance et d’indemnité, car les personnes doivent pour y parvenir abandonner leur point de vue particulier et adopter le point de vue de Dieu donné par la figure centrale. Il y a là une rude épreuve par laquelle Dieu veut amener les humains à redécouvrir Sa volonté et à réaliser le but universel global qui est au-delà du but individuel.

Dans l’histoire, il y a toujours des personnes dont la compréhension de l’œuvre de Dieu est plus profonde ou qui reçoivent du Ciel une inspiration spéciale. Ces personnes sont dans la position de figure centrale et elles ont pour responsabilité d’éclairer les autres. À travers elles, Dieu cherche à élever le niveau spirituel de leurs contemporains.

La position de figure centrale est similaire à celle de parent car, tout comme la découverte de Dieu par l’enfant se fait originellement à travers les parents, cette même découverte se fait pour les personnes déchues à travers la figure centrale. D’une manière générale, le modèle parent-enfant établit la formule idéale pour éduquer le cœur de l’être humain à une relation avec Dieu.

Certains dénonceront dans la notion que nous introduisons de figure centrale une résurgence du paternalisme. Effectivement, de nos jours, l’on associe aisément l’idée de père au principe d’un autoritarisme abusif et contraignant qui stérilise la personnalité de l’enfant. En fait, il s’agit de tout le contraire. Le vrai père n’est pas un despote, mais un guide, qui ne cherche pas à user de sa position de pouvoir dans un but de profit, mais qui donne inconditionnellement ce qu’il y a de meilleur en lui à l’enfant pour l’élever à un niveau encore supérieur au sien propre.

Une autre méprise grave serait de ne pas différencier la notion de figure centrale de celle d’autorité hiérarchique. Ce n’est pas à travers la structure d’une institution que l’Esprit de Dieu se manifeste, mais à travers les personnes qui ont la compréhension la plus profonde de Sa volonté, par exemple, les prophètes d’Israël ou encore des réformateurs de l’Église tels que François d’Assise. Les personnes doivent avoir le cœur et l’esprit assez larges pour reconnaître l’appel de Dieu à travers ces personnages providentiels. L’attitude de soumission aveugle à une structure sécurisante, de même que l’attitude de refus systématique de toute autorité, sont deux attitudes extrêmes qui nuisent aux progrès de la providence, car elles empêchent les humains de reconnaître la direction que Dieu veut donner à travers les figures centrales.

La figure centrale est le signe visible de Dieu parmi les êtres humains. Toutefois, ceux-ci ont toujours tendance à la rejeter, car elle est porteuse d’un message nouveau qui choque l’esprit du temps et qui oblige chacun à une remise en cause. La figure centrale doit être capable d’endurer toutes les souffrances et de triompher de toutes les persécutions avec un sentiment d’amour permanent. Par l’expression de son don de soi absolu, elle devient une offrande vivante sur l’autel de Dieu. L’exemple suprême de figure centrale est le Messie lui-même, qui ne vient pas pour dominer, mais pour servir tous les autres.

L’objet de l’établissement successif des fondements de foi et de substance est de purifier le cœur humain en préparation pour la venue du Messie. Tant qu’il n’y a pas eu séparation préalable du bien et du mal au moyen de ces deux fondements, Dieu n’est pas en mesure d’envoyer le Messie, car les personnes n’auront pas été préparées à s’engager à sa suite lors de sa venue. Elles doivent en particulier apprendre à s’unir à la figure centrale sur laquelle reposent les fondements de foi et de substance, car elle préfigure le Messie. C’est ainsi que Dieu, pour réaliser le fondement pour le Messie qui vient au niveau universel, a suscité à travers l’histoire une série de figures centrales dont la mission se situe à différents niveaux : familial, tribal, national, etc. En réalisant la nature des fondements de foi et de substance, nous comprendrons comment la venue du Messie, débouchant sur l’établissement du Royaume de Dieu sur la terre, est le but de toute l’histoire de la providence de Dieu. Sur cette base de compréhension, toute l’histoire, et en particulier l’histoire biblique, prend un éclairage entièrement nouveau.

 

L’entrée de Dieu dans l’Histoire


Dieu entama Son travail historique providentiel au sein même de la famille d’Adam, à travers les deux fils d’Adam, Abel et Caïn. De ces deux fils, Dieu choisit celui qu’il sentait le plus proche de Lui, Abel, pour porter la responsabilité centrale de Sa providence. Ainsi, Dieu accepta l’offrande d’Abel alors qu’il refusa celle de Caïn. À travers cette offrande, Abel put établir le fondement de foi et prendre la position de figure centrale.

Le fait que le choix de Dieu se soit porté sur Abel et non sur Caïn peut apparaître a priori comme une injustice, mais il revêt en réalité une signification profonde. En effet, si nous nous reportons à l’origine de la chute, le point de départ du mal réside dans le renversement des rôles entre l’homme Adam et l’Archange. L’Archange aurait dû en principe servir l’homme, mais il le domina. Pour rétablir l’ordre initial, Dieu projeta au niveau humain les deux positions d’Adam et de l’Archange incarnés respectivement par Abel et Caïn. Abel, porteur de la bénédiction de Dieu, devait inciter Caïn à se soumettre à lui. Caïn étant l’aîné, rien n’indiquait d’un point de vue extérieur qu’Abel dût avoir la primauté. Or, il en était ainsi du point de vue de Dieu. Abel et Caïn devaient, en surmontant cette épreuve, être amenés à privilégier le point de vue de Dieu sur le leur propre. Ils auraient ainsi réalisé le fondement de substance et le mal qui affectait l’humanité aurait été tué dans l’œuf. Mais, renouvelant au niveau physique le crime spirituel de l’Archange, Caïn tua Abel.

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Caïn et Abel, panneau en ivoire provenant de la cathédrale de Salerne, v. 1084, musée du Louvre.

Du fait de la conclusion tragique de l’histoire d’Abel et de Caïn, leur problème d’unité resta irrésolu et se reporta au niveau de toute l’humanité. Le conflit Caïn-Abel est ainsi à l’origine de toutes les querelles historiques et luttes fratricides entre individus, groupes sociaux, etc. Ce mal se trouve très profondément enraciné dans l’être humain.

Si nous examinons profondément notre conscience, nous constatons effectivement que tous les problèmes de mésentente de personnalité ou de conflit entre catégories humaines sont les projections de nos propres insuffisances. Ce que nous haïssons dans la personne en face de nous, c’est l’image manifeste de notre propre péché, l’expression visible de nos fautes les moins avouables. Ainsi, c’est en sachant surmonter toutes les épreuves de type Caïn-Abel que nous résoudrons nos problèmes les plus solidement ancrés.

Par extension du problème Caïn-Abel, nous retrouverons à tous les niveaux de l’histoire de la providence un côté relativement proche et un côté relativement éloigné – bien que souvent plus puissant ou plus brillant extérieurement – de Dieu. L’histoire ne progresse qu’à partir du moment où les courants de type Abel imposent leur direction aux courants de type Caïn, non pas par la violence ou la contrainte, mais en leur rendant manifeste l’amour de Dieu.

Après l’échec de l’établissement du fondement pour le Messie à travers la famille d’Adam, Dieu choisit comme figure centrale de Sa providence Noé, qui seul avait trouvé grâce à Ses yeux au sein d’un monde perverti et rempli de violence. Pour poser le fondement de foi, Noé devait construire l’Arche suivant les instructions que lui donna Dieu. L’Arche constituait ici l’objet de l’offrande. Avec une foi et une obéissance absolues, Noé accomplit tout selon le commandement de Dieu. Sur le fondement de la foi inconditionnelle de Noé, Dieu put, après le déluge, établir Sa nouvelle alliance avec l’humanité centrée sur la famille de Noé.

L’ivresse de Noé, Michel-Ange, Voute de la Chapelle Sixtine (1509)

L’ivresse de Noé, Michel-Ange, Voute de la Chapelle Sixtine (1509)

Il incombait ensuite au fils cadet de Noé, Cham, d’établir, dans la même position qu’Abel, le fondement de substance. Pour cela, Cham devait hériter du fondement de foi établi par son père. Mais il ne le put à cause de la faute grave que constitua sa réaction de honte devant la nudité de Noé endormi. Le comportement de Cham dans cette circonstance suscita la colère de Noé. En effet, Cham n’avait pas, en recouvrant Noé endormi, à s’ériger en juge de son père. En jugeant Noé sur un détail purement extérieur, il prouva qu’il ne respectait pas son père comme celui en qui Dieu avait placé Sa confiance. Du fait de ce manque d’unité entre père et fils, Cham ne put hériter du fondement établi par Noé et ce dernier maudit sa descendance. Ainsi, le fondement pour recevoir le Messie ne put être établi à cette époque à travers la famille de Noé.

Le sacrifice d’Abraham, Le Caravage, 1603, Galerie des Offices, Florence.

Le sacrifice d’Abraham, Le Caravage, 1603, Galerie des Offices, Florence.

Dieu trouva en Abraham la nouvelle figure centrale de Sa providence. Ayant spontanément abandonné famille et patrie à l’appel de Dieu, Abraham démontra son dévouement le plus total à la cause de Dieu. Ainsi désigné par Dieu pour établir le fondement pour le Messie, il restait encore à Abraham à prouver, non seulement sa pleine disponibilité, mais aussi sa concentration absolue sur l’application de la volonté de Dieu. Cela devait se concrétiser dans l’offrande d’animaux sacrifiés. À cette occasion Dieu recommanda à Abraham de couper en deux les animaux du sacrifice, ce qui revenait à séparer symboliquement le bien et le mal. Cette offrande devait constituer le fondement de foi. Toutefois, lorsqu’Abraham négligea de couper les oiseaux du sacrifice selon les prescriptions de Dieu, Celui-ci ne put accepter son offrande incomplète. L’erreur d’Abraham mettait en évidence qu’il n’était manifestement pas uni avec son cœur à l’offrande qu’il présentait à Dieu et qu’il n’était pas conscient de l’importance de ce que Dieu lui avait recommandé. À la suite de la faute d’Abraham, les rapaces s’abattirent sur les carcasses des animaux sacrifiés, de la même manière que les forces du mal envahissent et revendiquent ce que nous accomplissons chaque fois que nous échouons à opérer la séparation du bien et du mal.

Bien qu’Abraham eût péché par négligence, Dieu lui accorda une seconde chance de réaliser sa mission, sur la base de la foi qu’il avait démontrée tout au long de sa vie. Comme le premier sacrifice avait échoué, Dieu devait demander cette fois un sacrifice plus important à Abraham : la vie de son fils Isaac. C’était là l’épreuve la plus cruelle pour Abraham. La vie de son fils était ce qu’Abraham avait de plus précieux au monde, plus encore que sa propre vie. L’offrir en holocauste à Dieu était le meilleur gage d’obéissance. Sur le fondement de l’acceptation d’Abraham, Dieu ne voulut pas en fin de compte qu’il tue son enfant. Nous en tirerons une leçon : ce qui importe aux yeux de Dieu n’est pas l’offrande matérielle en soi, mais la transformation du cœur humain qui s’opère à travers l’offrande.

En s’unissant totalement à son père lors de l’épisode qui devait conduire à son sacrifice, Isaac put hériter de la position de figure centrale pour le fondement de foi qui fut réalisé à travers le sacrifice du bélier substitué à Isaac. Ce report d’une génération dans le déroulement de la providence est la conséquence de l’échec du premier sacrifice d’Abraham. Ainsi, l’établissement du fondement de substance devait revenir aux deux fils jumeaux d’Isaac : Jacob et Ésaü.

Déjà, durant la période de leur conception, alors qu’ils se battaient en son sein, leur mère avait reçu de Dieu cet avertissement : « Il y a deux nations en ton sein, deux peuples, issus de toi, se sépareront, un peuple dominera un peuple, l’aîné servira le cadet » (Gn 25.23). Suivant un principe qui se vérifie à travers tout l’Ancien Testament, l’aîné, Ésaü, se trouvait dans la position de Caïn, tandis que le cadet, Jacob, se trouvait dans la position d’Abel.

La réconciliation d’Ésaü et Jacob, Francesco Hayez, 1844, Pinacothèque Tosio Martinengo, Brescia, Italie.

La réconciliation d’Ésaü et Jacob, Francesco Hayez, 1844, Pinacothèque Tosio Martinengo, Brescia, Italie.

En tout premier lieu, Jacob devait s’affirmer dans la position providentielle d’Abel. Pour y parvenir, il dut s’employer à d’habiles manœuvres, s’emparant du droit d’aînesse de son frère et recevant la bénédiction de leur père Isaac à sa place. Les ruses de Jacob provoquèrent la colère d’Ésaü au point qu’il voulut tuer son frère. Pour éviter que ne se reproduise le meurtre d’Abel par Caïn, Jacob dut partir en exil pour la terre d’Harân. Il suivit à Harân un difficile cours de 21 ans où il fonda une famille et se constitua par son propre effort un patrimoine personnel. Durant toute cette période, l’objectif qui n’avait jamais quitté l’esprit de Jacob était de retrouver l’unité perdue avec Ésaü. Il quitta ainsi le pays d’Harân et partit avec sa famille et ses biens à la rencontre d’Ésaü. Pour résoudre le ressentiment dans le cœur de son frère, Jacob était prêt à tout faire. Il se déclara ainsi déterminé à donner tout ce qu’il possédait à Ésaü. Par un tel comportement, Jacob sut toucher le cœur d’Ésaü et tous deux s’unirent fraternellement, réalisant, pour la première fois dans l’histoire de la providence de Dieu, le fondement de substance. Parce que son cours n’avait été marqué par aucun échec, Jacob devint le modèle de la figure centrale victorieuse. À partir du fondement établi par Jacob, Dieu avait une base d’action directe avec l’homme, qui devait donner naissance à la nation élue d’Israël. Se reposant sur la nation d’Israël, Dieu pouvait entamer Son œuvre de préparation directe pour la venue du Messie.

 

L’histoire d’Israël


1. L’histoire d’Israël débuta par une période de quatre siècles d’esclavage en Égypte, conséquence de l’échec du premier sacrifice d’Abraham : « Dieu dit à Abraham : Sache bien que tes descendants seront des étrangers dans un pays qui ne sera pas le leur. Ils y seront esclaves, on les opprimera pendant quatre cents ans » (Gn 15.13). C’est ainsi sous l’oppression de la puissante nation égyptienne qui représentait le monde satanique que la maison de Jacob se développa. Dieu entendit monter de la terre les plaintes de Son peuple. Il fut touché dans Son cœur et lui envoya Moïse pour l’affranchir de son esclavage. Moïse, dans la position de figure centrale, tira les Israélites d’Égypte pour les mener vers la Terre promise de Canaan. Ainsi, Moïse préfigurait le Messie, qui vient arracher l’humanité à la souveraineté du mal et la conduire vers le monde idéal de Dieu.

Moïse recevant les Tables de la Loi, Marc Chagall, 1960-66, Musée national Marc Chagall.

Moïse recevant les Tables de la Loi, Marc Chagall, 1960-66, Musée national Marc Chagall.

La mission de Moïse était de réaliser un fondement, non plus à un niveau individuel et familial comme Jacob, mais à un niveau national pour recevoir le Messie. Le fondement de foi devait être posé par Moïse au cours d’une période de 40 jours marquant une purification et une séparation d’avec le mal. Ensuite, la démonstration par Israël de sa foi et de son obéissance à Moïse devait constituer le fondement de substance, se concrétisant par l’érection de la Demeure. La Demeure était la représentation symbolique du Messie et les Israélites devaient vivre intensément leur foi centrés sur Moïse et sur la Demeure. Mais, parce que le peuple d’Israël se laissa constamment gagner par le manque de foi et l’esprit de rébellion, le fondement pour la Demeure fut envahi par trois fois. En conséquence, la providence de Dieu dut être prolongée d’une durée de 40 ans : « Vous avez reconnu le pays pendant 40 jours. Chaque jour vaut une année : 40 ans vous porterez le poids de vos fautes, et vous saurez ce que c’est que m’abandonner » (Nb 14.34). Au terme de 40 ans d’errance, Dieu ne permit pas que la génération sortie d’Égypte entre en terre de Canaan avec Moïse du fait de ses nombreux échecs. Ce fut Josué, à la tête de la génération née au cours de la traversée du désert qui pénétra finalement dans Canaan.

2. Durant la période de quatre siècles suivante que l’on a coutume de nommer « la période des juges », le peuple élu d’Israël dut s’implanter, non sans difficultés, en terre de Canaan. Dieu permit effectivement, du fait qu’Israël n’avait pas rempli toutes les conditions requises, la coexistence à Canaan de peuples qui lui étaient hostiles. Face à cette nouvelle menace, les Israélites devaient affirmer l’intégrité de leur nation et se protéger notamment de la corruption des cultes idolâtres pratiqués par les tribus de Canaan.

Prise de Jéricho - au pays de Canaan - par les Hébreux.

Prise de Jéricho – au pays de Canaan – par les Hébreux.

Durant cette ère, Dieu suscita les juges dans la position de figures centrales. Le rôle des juges était d’orienter le peuple dans la direction de Dieu. Mais le plus souvent, les Israélites ne suivirent pas les recommandations des juges et se détournèrent vers d’autres dieux. En conclusion de cette période, le dernier juge, Samuel, sacra Saül premier roi d’Israël, selon la volonté de Dieu.

3. L’instauration du Royaume d’Israël marque la jonction entre le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel, qui est la préfiguration du Royaume de Dieu sur la terre. Le roi, dans le rôle de figure centrale providentielle, représente symboliquement le Messie, qui vient comme le Roi des rois. D’où le rapprochement qu’effectue fréquemment la Bible entre le roi David et Jésus.

Le Temple de Salomon est le premier temple construit, quelque dix siècles avant l’ère actuelle.

Le Temple de Salomon est le premier temple construit, quelque dix siècles avant l’ère actuelle.

La mission du roi Saül était d’établir, par l’érection du Temple, le fondement national pour le Messie. L’idéal du Temple était le prolongement de l’idéal de la Demeure laissé inachevé par Moïse. Le Temple était la représentation du Messie en image en même temps que l’objet de l’offrande pour le fondement de foi. En préparation pour le Messie, Israël devait développer sa foi, centrée sur le roi et sur le Temple, établissant ainsi le fondement de substance. Mais, après 40 ans de règne, le roi Saül n’écouta pas les avertissements de Samuel et se détourna de la volonté de Dieu. Son successeur, David, reprit sa tâche inaccomplie, mais, après 40 nouvelles années, parce qu’il dut mener beaucoup de guerres, Dieu ne lui permit pas non plus d’ériger le Temple. Finalement, ce fut au roi Salomon, fils de David, qu’il revint de construire le Temple. Le règne de Salomon fut une époque de rayonnement extraordinaire pour Israël. En ce temps-là, la providence de Dieu devait s’engager dans la phase finale et directe de préparation pour la venue du Messie. Néanmoins, le roi Salomon transgressa gravement la volonté de Dieu en laissant se propager l’idolâtrie dans son palais et en sacrifiant lui-même aux dieux de ses femmes étrangères. Cette invasion du mal provoqua la colère de Dieu car avec elle c’était tout le fondement pour la venue du Messie qui s’effondrait. En conséquence de la faute de Salomon, Dieu scinda son royaume en deux parties, Israël proprement dite revenant à son serviteur Jéroboam et Juda revenant à son fils Roboam. La division entre Israël et Juda provoquée par le péché de Salomon, a la même signification que la séparation entre Caïn et Abel qui résulta de la chute d’Adam.

Le règne de Salomon dura au total 40 ans, ce qui porte à 120 ans la durée de la période du Royaume Uni d’Israël.

4. Alors, une ère de troubles et de corruption s’engagea à nouveau durant 400 années. Pour amener Israël à se repentir Dieu lui envoya les prophètes de Juda, tels qu’Élie, Jonas ou Amos. Mais Israël n’écouta pas les prophètes, persista dans sa corruption et autorisa ainsi une nouvelle invasion du mal. S’étant totalement détournés de Dieu, le royaume d’Israël d’abord et le royaume de Juda ensuite, furent envahis par les Chaldéens et les Israélites emmenés en captivité à Babylone. Symbole de l’anéantissement de tout le travail providentiel de Dieu, le Temple fut détruit en 606 av. J.-C.

Le prophète Élie jette son manteau sur Élisée.

Le prophète Élie jette son manteau sur Élisée.

5. Par l’épreuve de la captivité et de l’exil, Dieu voulut amener Israël au repentir et à une réalisation plus profonde de son rôle de peuple élu. En 538 av. J.-C., le roi des Perses, Cyrus, nouveau souverain de Babylone, permit par décret aux Israélites de regagner leur pays après quelque 70 années d’exil. Dès lors, s’entama le retour progressif du peuple d’Israël vers Canaan. C’est de cette époque que date la reconstitution du Temple, en même temps qu’un mouvement de réforme de la foi s’engageait, en particulier autour du prophète Malachie. En 398 av. J.-C., le dernier contingent d’Israélites amené par Esdras, arrivait à Canaan, concluant une période de 210 ans.

Illustration de Gustave Doré : Esdras montre le livre de la Loi.

Illustration de Gustave Doré : Esdras montre le livre de la Loi.

6. Israël qui avait accompli l’idéal du Temple à la fois à un niveau extérieur et à un niveau intérieur, établit ainsi le fondement national pour le Messie. À dater de là, Israël entra dans une période de quatre siècles de préparation directe pour la venue du Messie. Durant cette période, Israël traversa toutes sortes de tribulations, devant subir en particulier l’occupation militaire et l’influence culturelle des nations puissantes qui l’environnaient.

Au premier siècle avant notre ère, Israël fut intégrée à l’Empire romain. Par son immense territoire politique doté des meilleures facilités de communication et son vaste ensemble culturel, l’Empire romain constituait un excellent fondement extérieur pour la rapide propagation du nouveau message apporté par le Messie. D’autre part, une élévation considérable du niveau intellectuel et spirituel des peuples de l’Antiquité s’était opérée en Orient comme en Occident sous l’impulsion de fondateurs religieux comme Bouddha en Inde ou Confucius en Chine au VIe siècle av. J.-C., et de sages tels que Socrate, qui fut au Ve siècle l’un des principaux inspirateurs de la culture hellénique. Ainsi, juste avant la venue de Jésus, il se produisait une convergence remarquable de facteurs spirituels, culturels et politico-économiques, qui rendait imminent le passage de la providence de Dieu du niveau national au niveau mondial. En conséquence de l’échec des contemporains de Jésus, cette situation historique exceptionnelle ne put être exploitée par Dieu et le monde se trouva à nouveau plongé dans les ténèbres. Il faudra attendre deux millénaires pour que se reproduisent les mêmes conditions providentielles.

Bouddha, Socrate et Confucius.

Bouddha, Socrate et Confucius.

En s’unissant à Jésus, Israël aurait tenu une position centrale vis-à-vis de toutes les autres nations mais, en grande partie du fait de l’échec de Jean le Baptiste, Israël ne reconnut pas Jésus. Jean le Baptiste, dernier de tous les prophètes, était dans la position de figure centrale pour tout Israël avant que ne débute le ministère public de Jésus. Toute l’histoire d’Israël était totalisée dans la personne de Jean le Baptiste qui aurait dû se soumettre inconditionnellement à Jésus, marquant ainsi la reconnaissance par Israël du Messie. La venue de Jésus représentait l’aboutissement de tout le travail de préparation d’Israël, mais, comme Israël passa à côté de l’occasion qui lui était offerte par Dieu, tout l’acquis providentiel des 2000 ans de son histoire fut annulé.

Dès lors, une nouvelle nation devait prendre la responsabilité centrale dans la providence et livrer à Dieu les fruits du Royaume : « Aussi, je vous le dis : le Royaume de Dieu vous sera retiré pour être confié à un peuple qui lui fera produire ses fruits » (Mt 21.43). Ce nouveau peuple élu de Dieu est le peuple chrétien derrière Jésus. Ainsi, à partir de Jésus, la providence de Dieu se développa centrée sur la nation spirituelle du christianisme.

 

Les parallèles de l’histoire


Il est un fait étonnant mais vérifiable, que l’histoire du christianisme, de Jésus jusqu’à nos jours, reproduit fidèlement l’histoire d’Israël, avec des périodes, des points névralgiques et un développement interne entièrement parallèles. Une telle similarité entre les deux histoires peut sembler miraculeuse et certains voudront mettre en doute son authenticité. Néanmoins, nous engageons tout le monde à en constater la vérité fondée.

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L’histoire d’Israël et l’histoire du christianisme comprennent effectivement une série de périodes parallèles de 40, 120, 210 ou 400 années. Nous ne sommes pas en mesure ici, d’entamer une explication, qui serait trop longue et complexe, sur la signification providentielle de chacun de ces nombres. Mais nous constaterons simplement que les histoires bibliques de Noé, Abraham, Jacob, Moïse, etc., comportent de la même manière des périodes de temps déterminées de 21, 40, 120, 400, jours, mois ou années[1].

[1] Les périodes de temps bibliques ne doivent pas toujours être interprétées d’une manière littérale (cf. les vies longues de plusieurs centaines d’années des patriarches). Seul le sens qu’elles prennent d’un point de vue symbolique doit être véritablement tenu en compte.

En fait, l’existence de cycles précis dans l’histoire est tout à fait concevable si nous la considérons sous l’angle de la providence de Dieu. Il y a une distinction fondamentale à marquer entre l’histoire centrale, c’est-à-dire le droit fil de la providence de Dieu avec Israël et le christianisme, et l’histoire périphérique, concernant l’ensemble des cultures et religions.

La marge d’erreur sur les périodes parallèles que nous mettons en évidence est de quelques années à peine, ce qui est suffisamment négligeable pour vérifier notre hypothèse. Cette marge d’inexactitude, d’autre part, s’explique si nous considérons qu’il en va de même pour les cycles naturels biologiques qui sont réguliers, mais approximatifs. Un fruit censé mûrir à telle date peut être en avance ou en retard de quelques jours, mais sa période de croissance reste identique.

S’il se reproduit dans la nature des périodes biologiques, pourquoi ne se reproduirait-il pas de même des périodes historiques ? Nous rejoignons en cela l’analyse de l’historien anglais Arnold Toynbee qui mit en évidence une périodicité dans le développement de l’histoire. Toynbee nota ainsi que, d’une façon surprenante, la période de décadence d’une culture était souvent de 400 ans.

Toutefois, le fait qu’il y ait reproduction de certaines périodes dans l’histoire de la providence ne signifie pas que l’histoire est une simple répétition de cycles, retournant automatiquement à son point de départ sans marquer de progression. Le renouvellement d’une période indique en fait, non pas une nécessité historique inexorable, mais un échec préalable de l’être humain : durant la période précédente, il n’a pas accompli sa part de responsabilité, entraînant ainsi une prolongation de la providence de Dieu.

À travers le christianisme, Dieu prépare une nouvelle nation à accueillir le Messie, alors que tout le fondement de Sa providence à travers Israël s’est effondré. La venue du Messie, marquant la fin de la domination des forces du mal et l’instauration du Royaume de Dieu est ce qui donne tout son sens à l’histoire du christianisme. La mission du Messie est de renverser le courant de l’histoire dans le sens de Dieu et le rôle du christianisme est de préparer le monde au suprême bouleversement que le Messie viendra apporter. Seulement dans un tel contexte historique providentiel comprendrons-nous ce pour quoi le Christ est venu et ce pour quoi il doit venir à nouveau.

Les chrétiens doivent davantage prendre conscience de l’énorme responsabilité qui leur revient à un niveau universel. Si une purification et un renouveau de la foi ne s’opèrent pas aujourd’hui à travers le christianisme, le fondement pour recevoir le Messie sur le plan mondial ne sera pas réalisé. Dès lors, le christianisme pourrait fort bien répéter l’échec d’Israël et passer à côté de la providence de Dieu. Pour éviter une nouvelle tragédie de l’histoire, les chrétiens doivent vivre dans l’attente fervente du retour du Christ, suivant la recommandation que leur donna Jésus : « Veillez donc et priez en tout temps, afin d’avoir la force d’échapper à tout ce qui doit arriver et de vous tenir debout devant le Fils de l’homme » (Lc 21.36).

 

L’histoire du christianisme


1. L’histoire du christianisme[2] débuta par une période de quatre siècles de persécution sous l’Empire romain, parallèle aux 400 ans d’esclavage d’Israël en Égypte. Cette période de tourments et de souffrances restaura l’échec des Israélites à s’unir à Jésus et établit le fondement pour la propagation du christianisme dans le monde entier. C’est ainsi qu’émergea la nation élue du christianisme, au milieu d’un monde qui lui était foncièrement hostile. De cette manière, Dieu forge toujours Son peuple au travers des pires difficultés.

[2] Pour apprécier toute la valeur des parallèles de l’histoire, il est recommandé pour chaque période de l’histoire du christianisme de se reporter à la période correspondante de l’histoire d’Israël, en fonction du numérotage indiqué.

La dernière prière des martyrs chrétiens, par Jean-Léon Gérôme, 1883, Walters Art Museum, Baltimore.

La dernière prière des martyrs chrétiens, par Jean-Léon Gérôme, 1883, Walters Art Museum, Baltimore.

Parallèlement, l’on donna à la foi chrétienne sa formulation essentielle. C’est ainsi que, dans les premiers siècles, le Nouveau Testament fut rédigé, la doctrine chrétienne graduellement élaborée à partir de l’enseignement de Jésus et l’Église consolidée en tant qu’institution.

En 392, le christianisme, autorisé depuis 313 par l’empereur Constantin, s’imposa comme l’unique religion dans cet Empire romain qui l’avait combattu si farouchement jusqu’alors. Équivalent de l’Exode, la chute de l’Empire romain devait survenir peu après sous les coups de boutoir des peuples barbares. Les peuples germaniques envahisseurs se convertirent assez rapidement à la religion chrétienne. Ils devaient s’affirmer dans les siècles suivants comme les véritables champions du christianisme. À ce point, le centre de la providence de Dieu se fixa à l’Europe occidentale. Le christianisme avait trouvé sa terre de Canaan.

2. Nous entrons ensuite dans une période de 400 ans, reproduisant celle des juges. De même que les juges à la tête d’Israël, les patriarches à la tête de l’Église renforcèrent sa puissance et son autorité. La foi chrétienne s’implanta à travers toute l’Europe, devant, non sans peine, refouler l’empire toujours vivace dans les mentalités des vieilles religions germaniques. Une société féodale se constitua à cette époque à travers une Europe entièrement morcelée.

Concluant la période des patriarches, le pape Léon III sacra et couronna Charlemagne le jour de Noël de l’an 800, le proclamant premier roi du second Israël « la nation élue par Dieu », tout comme Samuel avait sacré Saül premier roi d’Israël.

Le 25 décembre de l’an 800, à Saint-Pierre de Rome, Charlemagne est couronné empereur par le pape Léon III. Grandes Chroniques de France, BnF, Paris (version enluminée par Jean Fouquet).

Le 25 décembre de l’an 800, à Saint-Pierre de Rome, Charlemagne est couronné empereur par le pape Léon III. Grandes Chroniques de France, BnF, Paris (version enluminée par Jean Fouquet).

3. L’entourage de l’empereur Charlemagne qui était un personnage historique d’une envergure exceptionnelle, voyait en lui un nouveau Constantin, capable de rétablir un Empire chrétien en Occident. Un tel projet reproduisait la tentative d’unification entre l’Empire tenant du pouvoir temporel, et l’Église gardienne du pouvoir spirituel, qui avait échoué quatre siècles auparavant par suite de la mésentente entre les autorités civiles et religieuses du Bas-Empire. Au même titre que le pape, l’empereur Charlemagne se posait en champion du christianisme et son ambition était de christianiser et d’unifier toute l’Europe.

Le partage de l'Empire carolingien au traité de Verdun en 843.

Le partage de l’Empire carolingien au traité de Verdun en 843.

Si Charlemagne s’était centré sur la volonté de Dieu, s’était uni au pape et avait réalisé l’unité dans son Empire, le carcan de la société féodale aurait pu être brisé à cette époque, ouvrant sur un type de société qui, suivant l’idéal de la Cité de Dieu de saint Augustin, aurait été la préfiguration directe du Royaume de Dieu sur la terre. Néanmoins, l’empereur Charlemagne connut de graves difficultés à la fin de son règne, ne trouva pas de réel support parmi son entourage et ne put s’accorder avec le pape, ce qui fit échouer sa vaste entreprise. Les successeurs de Charlemagne se montrèrent incapables de prolonger son œuvre et l’immense espérance suscitée par l’avènement de Charlemagne n’eut pas de lendemain. Quand, 120 ans après le couronnement de Charlemagne, le règne des carolingiens s’acheva en Europe, l’Empire était divisé et plongé dans l’anarchie. À l’Est, la dynastie des Ottons prit la relève en 919. À l’Ouest, débuta en 921 le règne des Capétiens avec Robert ler.

4. Le but providentiel de la nouvelle période de 400 ans qui s’engagea ensuite, était de parvenir à la réunification d’une Europe chrétienne disloquée. Dès la fin du Xe siècle, Otton le Grand, roi de Germanie, tenta de rétablir l’idéal de Charlemagne en se faisant couronner empereur par le pape. Ce fut le début d’une coopération entre Empire et papauté qui devint l’axe de la providence pendant toute cette période. La position de l’Empire chrétien germanique au cœur de l’Europe occidentale était comparable à celle du royaume de Juda qui avait pour responsabilité de ramener tout Israël à Dieu. Mais déjà au XIe siècle, la situation entre l’Empire et la papauté commença à se dégrader. Le clergé, privé de toute indépendance, tomba graduellement sous la coupe des laïcs et de l’empereur. La papauté réagit vivement contre de tels abus, ce qui provoqua entre le pape et l’empereur la querelle des Investitures, au terme de laquelle le pouvoir pontifical se trouva accru. Toutefois le problème d’une harmonisation entre pouvoir spirituel et pouvoir temporel ne s’en trouvait pas pour autant résolu. Parallèlement, des ordres religieux tels que ceux de Cluny aux Xe et XIe siècles et de Cîteaux au XIIe siècle, entamèrent une réforme des mœurs d’un clergé corrompu et laïcisé, réforme qui pourtant s’avéra insuffisante.

Abbaye de Cîteaux : Galerie de la Bibliothèque (XIIIe   XVIe siècles).

Abbaye de Cîteaux : Galerie de la Bibliothèque (XIIIe   XVIe siècles).

Tout au long du XIIe siècle, le pouvoir du Saint-Siège ne fit que croître au sein de l’Église, aboutissant à une véritable monarchie pontificale qui se heurta aux prétentions de l’empereur. Le conflit entre papauté et Empire s’aggrava encore au XIIIe siècle, plongeant toute l’Italie dans une cruelle guerre civile qui rejaillit sur le prestige pontifical. À Rome, les cardinaux n’étaient plus que des chefs de factions rivales qui se livraient bataille dans les rues. La papauté elle-même fut gagnée par la corruption. Au terme de quatre siècles de troubles, la tentative d’unification de l’Europe chrétienne par la jonction providentielle entre le pape et l’empereur avait échoué.

À cet échec s’ajouta celui des croisades lancées par les papes à partir de motivations qui n’étaient pas toujours exemptes de tout reproche, et celui de l’entreprise de réforme intérieure du clergé, malgré la fondation des ordres mendiants par des figures telles que François d’Assise, Thomas d’Aquin et saint Dominique au XIIIe siècle. Ces derniers, tels les prophètes d’Israël partis convertir Juda, voulurent inciter par la vertu de l’exemple le clergé corrompu à changer d’attitude ; mais le mouvement de corruption au sein de l’Église ne fut pas enrayé, ce qui provoqua l’invasion du mal : en 1308, le roi de France, Philippe le Bel, fit déposer le pape et transférer le Saint-Siège de Rome en Avignon. Tout comme deux millénaires auparavant Jérusalem était tombée face aux envahisseurs, Rome avait finalement cédé.

5. À partir de l’exil du pape en Avignon, le monde chrétien traversa une ère de difficultés jusqu’à la Réforme, 210 ans plus tard. Aux XIVe et XVe siècles, une série de calamités s’abattit sur l’Occident. La population fut décimée par la peste, la famine, les guerres. Durement éprouvés, les hommes et les femmes furent enclins à poursuivre une recherche religieuse ardente.

Façade du palais des papes à Avignon.

Façade du palais des papes à Avignon.

Pendant une période de près de 70 ans, que les partisans du pape qualifièrent, en souvenir de l’histoire d’Israël, de « captivité de Babylone », le pape dut subir le contrôle des rois de France en Avignon. La papauté réintégra Rome en 1377, mais la crise de l’Église se poursuivit par le Grand Schisme où l’on vit jusqu’à trois papes se disputer le trône de Pierre. La chance s’offrit à l’Église, dans le cadre des conciles qui se réunirent alors pour remédier à la crise, d’opérer une mutation décisive, mais le pape durcit ses positions de monarque absolu, étouffant toute possibilité de réforme. Parallèlement, la corruption qui affectait l’Église jusqu’en ses plus hautes sphères s’aggrava, alors qu’il se trouvait chez le peuple des aspirations religieuses très vives. Des réformateurs prônant une purification de la foi, tels que Wyclif en Angleterre ou Jan Hus en Bohême, s’étaient levés, mais ils avaient été écrasés impitoyablement. Nous aboutissions à une situation intenable où Dieu avait perdu toute possibilité de travailler. L’élan de foi qui avait été longtemps contenu explosa finalement dans le mouvement de la Réforme en 1517 avec Martin Luther.

 

Renaissance et réforme


6. L’émergence au XVIe siècle d’un mouvement tel que la Réforme protestante était devenue inévitable. D’une part, la dégradation de l’autorité morale du Vatican et l’utilisation des structures de l’Église comme moyen d’exploitation avaient rendu une action de purification indispensable. D’autre part, le formalisme des cérémonies religieuses et des règles de conduite, ainsi que l’intervention du clergé dans la relation du fidèle avec Dieu, entravaient le libre épanouissement de la foi des individus. Ce qui caractérise le message chrétien est qu’il s’adresse à chaque individu en particulier. Il nous faut donc par nous-mêmes l’intérioriser et avoir directement accès à la parole de Dieu sans qu’une autorité humaine ne s’interpose abusivement. Nous devons développer maturité et responsabilité au niveau de notre foi, en préparation pour l’avènement du Messie, car reconnaître le Messie lors de sa venue relève d’un choix individuel. C’est ainsi que s’engagea le mouvement de la Réforme qui répondait à toutes ces exigences fondamentales de la foi.

Luther brûlant publiquement les œuvres de Jan Eck, un livre de droit canon et la bulle condamnant ses propositions (Life of Martin Luther and the heroes of the Reformation, 1874).

Luther brûlant publiquement les œuvres de Jan Eck, un livre de droit canon et la bulle condamnant ses propositions
(Life of Martin Luther and the heroes of the Reformation, 1874).

Parallèlement au courant de renouveau religieux de la Réforme se propagea le courant de renouveau intellectuel de la Renaissance. La raison de l’apparition d’un mouvement comme la Renaissance remonte au Moyen-Âge où le christianisme dominait toute la vie intellectuelle. Des penseurs comme Thomas d’Aquin eurent alors une influence considérable. Thomas d’Aquin apporta une importante contribution à la pensée chrétienne en opérant une nouvelle synthèse de la philosophie grecque et de la théologie chrétienne. Thomas d’Aquin ne fit en cela que poursuivre l’œuvre entreprise par les Pères de l’Église des premiers siècles. Toutefois, au lieu d’accueillir son œuvre comme le point de départ d’un nouvel approfondissement, les philosophes scolastiques qui le suivirent en firent une conception figée et dogmatique, origine et fin de toute recherche. Une pensée libre et créatrice n’avait plus de possibilité dès lors de se développer. D’autre part, la méthode scolastique ainsi élaborée ne s’attachait qu’à l’essence divine et immuable des choses et non pas aux mouvements concrets de la nature. À la longue, le formalisme imposé dans le domaine de la pensée par la philosophie scolastique et son spiritualisme exclusif ne pouvaient que provoquer une réaction de l’âme originelle en quête d’universalité.

La nature humaine originelle comporte, outre son aspect intérieur, un aspect extérieur comprenant toutes les aspirations humaines à la liberté et à la dignité, à l’indépendance de la personnalité, au rapprochement d’avec la nature, à la connaissance par la science et par la raison. Il était impossible de négliger totalement cet aspect de la nature humaine sans créer un grave déséquilibre. Ainsi, en réaction contre la vision exclusivement verticale du Moyen-Âge, se développa le courant d’idées de la Renaissance qui mettait d’abord l’accent sur l’aspect humain et horizontal.

Célèbre représentation des différentes écoles de l'Antiquité : on reconnaît, au centre, Platon montrant le ciel du doigt (allusion à sa théorie des Idées) et Aristote montrant par opposition la terre (allusion à son souci d'ancrer le savoir dans l'examen des faits empiriques). Détail d'une fresque de Raphaël (v. 1511).

Célèbre représentation des différentes écoles de l’Antiquité : on reconnaît, au centre, Platon montrant le ciel du doigt
(allusion à sa théorie des Idées) et Aristote montrant par opposition la terre (allusion à son souci d’ancrer le savoir
dans l’examen des faits empiriques). Détail d’une fresque de Raphaël (v. 1511).

La raison de l’apparition simultanée et divergente du courant temporel de la Renaissance et du courant spirituel de la Réforme est d’ordre providentiel. Le dessein que Dieu avait poursuivi à travers tout le Moyen-Âge s’était effectivement révélé un échec. L’unification entre le pouvoir temporel de l’empire et le pouvoir spirituel de l’Église n’avait pu s’effectuer durant la période médiévale. L’ancien ordre, qu’incarnaient un système féodal rigide et une hiérarchie ecclésiastique corrompue s’avérait désormais un obstacle pour la poursuite de la providence de Dieu centrée sur l’Europe chrétienne. À ce point, Dieu voulut donner une orientation totalement nouvelle à Sa providence et susciter un mouvement de réaction contre la mentalité médiévale. Par ce mouvement de renouveau, Dieu voulait amener chaque personne à réaliser Ses principes universels en suivant l’appel de son âme originelle plutôt qu’en adoptant aveuglément une loi imposée de l’extérieur. Ainsi, chaque personne devait graduellement restaurer sa nature originelle en préparation pour la venue du Messie. Comme le Moyen-Âge n’avait pas réussi à unifier les courants temporel et spirituel, le mouvement de renouveau suscité par Dieu s’engagea dans deux directions : le courant de type Abel de la Réforme répondant à une exigence intérieure de l’âme originelle et le courant de type Caïn de la Renaissance, répondant à une exigence extérieure de l’âme originelle.

À partir de cette rupture avec les structures sociales et mentales contraignantes du Moyen-Âge débuta l’ère qualifiée par les historiens de « Temps Modernes ». Cette époque connut une floraison extraordinaire d’événements et un essor sans précédent de la civilisation. À un niveau providentiel, elle correspondit à la période de préparation directe pour le retour du Messie. Cette période, si l’on en fixe le terme à la première guerre mondiale, prit une durée de 400 ans.

Sur le plan culturel, le mouvement de la Renaissance apparut comme une résurgence de la culture humaniste hellénique, tandis que le mouvement de la Réforme apparut comme une résurgence de la culture théiste hébraïque. Cette apparition simultanée est également significative, car c’est au point de jonction entre une culture universelle fondée sur des valeurs spirituelles et une culture universelle fondée sur des valeurs humaines et matérielles que doit se réaliser le Royaume de Dieu sur la terre.

Il y eut trois occasions notables dans l’histoire où la conjonction entre ces deux courants culturels aurait pu se produire. Tout d’abord, à l’âge d’or d’Israël, sous le règne de Salomon, la volonté de Dieu était manifestement que Son peuple devienne un foyer de rayonnement pour le monde : « Même l’étranger qui n’est pas d’Israël ton peuple, s’il vient d’un pays lointain à cause de ton Nom… s’il vient et prie en ce Temple, toi, écoute-le au ciel, où tu résides… afin que tous les peuples de la terre reconnaissent ton Nom et te craignent comme le fait ton peuple Israël » (I Rois 8.41-43). C’est alors qu’avec l’établissement de communautés d’hébreux à travers tout le bassin méditerranéen commença le phénomène de la diaspora. La rencontre aurait pu s’opérer entre la culture hébraïque et la brillante civilisation égéenne, ancêtre de la civilisation hellénique, alors à son apogée, mais le roi Salomon perdit la bénédiction de Dieu.

Ensuite, à l’époque de Jésus, dans le creuset d’un Empire romain profondément hellénisé, Dieu avait préparé toutes les conditions pour que le message de Jésus se répandît comme une traînée de poudre. L’échec de la mission d’Israël empêcha la réalisation de ce projet.

Enfin, au IXe siècle, une fusion était possible entre l’Occident de Charlemagne, champion de la chrétienté, et l’Empire byzantin, héritier de la culture grecque. Elle ne put non plus se réaliser, ce qui devait plus tard se conclure par le schisme entre l’Église catholique romaine et l’Église grecque orthodoxe.

Ce ne fut qu’à la chute de Byzance, au XVe siècle, que l’hellénisme se propagea en Europe occidentale, par l’entremise des savants byzantins réfugiés. Les deux courants de l’hébraïsme et de l’hellénisme auraient dû se rejoindre au XVIe siècle, mais ils suivirent au lieu de cela une direction opposée. Le même esprit de liberté avait soufflé sur l’Occident et suscité les deux courants, mais ils commencèrent dès lors à diverger. Nous avions d’une part un courant religieux de type Abel porté par la Réforme et fondé sur la foi en Dieu et d’autre part un courant humaniste de type Caïn prenant l’être humain comme centre de référence, mais au détriment de Dieu. Non fécondé par une perspective religieuse plus intérieure, le courant de l’humanisme devait par la suite aboutir à de dangereuses déviations.

 

Genèse de l’idéal démocratique


Le développement du courant de type Abel parti de la Réforme ne se fit pas sans heurts tout au long de la période des Temps Modernes et tous les écarts auxquels il donna lieu profitèrent au développement du courant de type Caïn. À l’origine, la volonté de Dieu n’était pas de provoquer une division de la chrétienté en Occident. Le soulèvement de Luther était un avertissement destiné à l’Église elle-même. Mais, alors que le mouvement de la Réforme prenait une ampleur considérable à travers toute l’Europe, les autorités ecclésiastiques, au lieu d’être incitées à un changement, se raidirent sous le choc. Deux camps hostiles se dressaient irrémédiablement et le conflit religieux dégénéra rapidement en affrontement politique, puis militaire. Luther se trouva bientôt dépassé par les conséquences du mouvement qu’il avait provoqué. Pendant plus d’un siècle, l’Europe fut plongée dans les effroyables guerres de religion qui se conclurent par la séparation en deux de l’Europe chrétienne. Dans la partie sud de l’Europe, se développa essentiellement le courant de type Caïn de la Renaissance, en même temps que le catholicisme romain gardait ses positions. Dans la partie nord de l’Europe, le courant providentiel de type Abel porté par la Réforme protestante se répandit le plus largement. À cette époque, l’Angleterre, passée au protestantisme en 1534, prit une position centrale dans la providence de Dieu, en particulier à travers le puritanisme naissant. Le mouvement puritain anglais se fit le champion des libertés religieuses et, après avoir soutenu une longue persécution de la part des autorités favorables tout à tour au catholicisme et à l’anglicanisme, il fut à l’origine de la première démocratie parlementaire.

Toutefois, malgré le modèle anglais, l’Europe devait mettre longtemps à se dégager des pesanteurs de l’ancien système. Dieu préparait déjà le prochain stade de Sa providence et ce fut sur l’Amérique que se porta son choix. C’était vers le nouveau continent américain que, dès le début du XVIIe siècle, s’étaient dirigés les Puritains anglais en quête de la liberté de culte que l’Europe leur refusait. Ces colons animés d’une foi ardente furent les véritables pionniers de la nation américaine. Ils y développèrent une société de type entièrement nouveau, animée par l’esprit de confiance et de responsabilité qui caractérisait leur foi. Quand l’Angleterre tenta à nouveau d’imposer sa direction autoritaire, les Américains décidèrent de rompre avec la métropole et de constituer une nation indépendante. C’est ainsi que naquit en 1776 la démocratie américaine.

C’est l’idéal protestant anglo-saxon, beaucoup plus que les idées révolutionnaires françaises, qui est à l’origine de la formation de l’esprit démocratique. La Révolution française, plus fondée sur des revendications sociales que sur une motivation idéaliste, fut foncièrement intolérante et sombra dans la Terreur. À l’inverse, les démocraties anglo-saxonnes, nées à partir d’aspirations à la liberté de culte et de convictions religieuses profondes, engendrèrent des sociétés où régnait un climat de tolérance et de respect mutuel. Par leur vitalité et leur prospérité, elles entraînèrent à leur suite tout l’Occident.

Au sud de l’Europe, le courant de type Caïn de l’humanisme donna lieu au Siècle des Lumières dont le centre de rayonnement fut la France. Au siècle des Lumières, régnait en France l’absolutisme. Malgré l’évolution des mœurs et des idées, la société n’avait pas subi de modifications fondamentales. Elle gardait l’empreinte de la féodalité, clergé et noblesse bénéficiant de tous les privilèges au détriment d’une population souvent misérable. À tous les niveaux de la société, les classes privilégiées écrasaient le peuple de leur mépris, engendrant chez lui de profonds ressentiments. Le clergé quant à lui ne se montra pas capable alors de procurer une direction spirituelle. Face à une telle situation, les philosophes du Siècle des Lumières prirent position pour des réformes. À une époque où il n’y avait plus aucun signe de Dieu dans la société française, leurs idées prirent tout naturellement une tournure matérialiste. Les philosophes critiquèrent en bloc l’absolutisme, les privilèges, le clergé et la doctrine catholique elle-même. Cela constitua la façon de type Caïn de concevoir la vie, par opposition à l’idéal puritain de type Abel des pays anglo-saxons. Les idées du Siècle des Lumières prirent un caractère de plus en plus politique et débouchèrent sur la Révolution française de 1789. Mais, à l’encontre des principes dont ils se réclamaient, les révolutionnaires prirent des mesures peu conformes au respect des Droits humains et de la personne humaine. Imposant un dirigisme forcené et massacrant tous les opposants, le régime prit une orientation franchement totalitaire. Quant à la religion, les révolutionnaires tentèrent de l’éliminer purement et simplement. Sous la Terreur, les églises furent fermées, les prêtres emprisonnés ou exécutés, tout croyant devint un suspect.

En fait, une telle dégénérescence était parfaitement prévisible si l’on considère les motivations qui étaient à l’origine de la Révolution française. L’exigence de liberté des révolutionnaires provenait moins d’aspirations idéalistes profondes que des rancœurs d’individus ou de catégories revendiquant pour leurs propres droits. Or, seul un idéal profond partagé par toutes les couches de la population est en mesure d’unifier une nation et de réaliser le fondement d’une démocratie durable.

À l’encontre du modèle français de démocratie, la démocratie d’inspiration religieuse américaine a connu une remarquable continuité, car l’idéal chrétien imprégnait fortement les gens de toutes conditions lors de la Révolution de 1776. C’est ainsi que les institutions démocratiques américaines, qui font constamment référence à Dieu, sont toujours en vigueur aujourd’hui et qu’il ne s’est trouvé aucun modèle pour les dépasser. Il ne saurait être effectivement de meilleur fondement pour la démocratie que le christianisme, car c’est du christianisme que provient l’idée que tous les hommes et toutes les femmes sont égaux devant Dieu et responsables de leur propre salut.

Ainsi, deux types de démocratie aux directions divergentes s’étaient établis au XVIIIe siècle contre le vieux système fondé sur l’absolutisme. La Révolution américaine, entreprise par d’ardents chrétiens motivés par un idéal religieux, réalisa le type Abel de démocratie. La Révolution française, née dans la violence et brisée dans la violence, réalisa le type Caïn de démocratie, dont devait procéder plus tard le mouvement du communisme.

Ainsi se trouvait vérifiée cette loi historique suivant laquelle les courants de type Caïn et Abel poursuivent une progression parallèle jusqu’à ce que se résolve finalement leur antagonisme.

 

L’hégémonie de l’occident chrétien


De même qu’il est à l’origine de la démocratie, l’esprit du protestantisme a inspiré le développement du libéralisme économique. Comme le montre Alain Peyrefitte, en reprenant dans son ouvrage « Le Mal français » les thèses du sociologue allemand Max Weber, l’avance des peuples protestants dans le domaine économique est un fait indiscutable. Cette avance est due d’une part à ce que le protestantisme, en brisant les structures traditionnelles et en déclarant chaque personne responsable d’elle-même, a favorisé l’esprit d’entreprise et d’innovation. D’autre part, le protestantisme, tout en condamnant la jouissance excessive des richesses, a supprimé tous les tabous moraux qui entravaient le désir d’acquérir. Dès lors, le protestant pourra en toute bonne conscience donner libre cours à son énergie créatrice en recherchant la réussite économique. Le protestant obéira en cela, non pas à un instinct d’avidité de biens matériels, mais à un besoin de dépassement de soi qui provient de son idéal religieux. Ainsi, partant de l’Angleterre protestante qui fut le foyer de la première révolution industrielle, le libéralisme économique se développa comme le système économique le plus efficace qui ait existé dans l’histoire, car il permettait la pleine application de la créativité économique humaine.

Du fait de certains abus que le libéralisme économique a occasionné depuis le siècle dernier, il est de bon ton aujourd’hui de jeter le discrédit sur un tel système qui, soi-disant, tirerait sa prospérité de l’exploitation des travailleurs. Or, le simple examen des faits nous prouve le contraire. Comme le montre l’exemple américain, la vitalité de l’économie libérale moderne se fonde sur l’élévation du niveau de vie de toutes les catégories. De plus, le système libéral évolue de par lui-même vers une répartition plus équitable des richesses. La véritable cause de la prospérité des nations capitalistes n’est pas l’exploitation des travailleurs, ni même celle des nations sous-développées, mais l’esprit de confiance, d’initiative et de créativité qui caractérise leur système, et, si nous remontons encore plus loin, les principes dynamiques contenus dans le message chrétien lui-même.

Ainsi, ce n’est pas un accident de l’histoire si les domaines d’implantation d’une longue tradition chrétienne de la démocratie politique et du libéralisme économique coïncident à peu près exactement. Le Principe divin propose une interprétation à cet état de fait, discernant trois domaines principaux dans l’activité humaine : le spirituel, le politique et l’économique. Le domaine spirituel comprend l’ensemble des idéaux qui motivent une société et sans lesquels il n’est point de société. Le domaine économique concerne l’utilisation par l’être humain des biens matériels. Le domaine politique, quant à lui, est le lieu où se détermine la direction d’une société, au point de jonction entre ses réalités matérielles et ses motivations idéales.

Le domaine spirituel retiendra plus particulièrement notre attention, car la recherche d’un idéal est le besoin humain le plus fondamental. Le rôle des différentes religions qui apparurent à travers l’histoire fut de combler cette aspiration à un idéal. Pour cette raison, l’élément religieux est le plus stable et le plus immuable au cœur d’une civilisation. Par l’éternité et l’universalité de la vision qu’elle apporte, la religion engendre les transformations mentales les plus profondes. Par le biais des mentalités, le message religieux passe graduellement dans les mœurs et dans la vie publique, formant une sphère culturelle. C’est ainsi qu’à l’origine de chaque civilisation, l’on trouve une religion majeure : hindouisme à l’origine de la civilisation de l’Inde, islam à l’origine de la civilisation arabe, bouddhisme et confucianisme à l’origine de la civilisation chinoise, judéo-christianisme à l’origine de la civilisation occidentale, etc. En revanche, dès que la religion fondamentale perd son impact sur les consciences, la civilisation correspondante s’effondre, car les valeurs qui la fondent ne s’appliquent plus.

De même que l’on peut considérer la religion comme le cœur ou l’âme d’une société, l’économie en constitue le corps. Dans la société idéale, ces deux domaines de l’activité humaine doivent parvenir à une interaction harmonieuse. Il existe la tendance de nos jours, à considérer le domaine de l’économie et celui de la spiritualité comme incompatibles, tout ce qui est investi dans l’un devant être soutiré à l’autre, et réciproquement. Beaucoup voient dans le développement de l’économie la cause du déclin spirituel de l’Occident. Une telle vision n’est pas exacte. La véritable cause en est que nous n’avons pas été spirituellement assez mûrs pour assumer ce développement économique.

L’activité économique en fait est un domaine essentiel où peut s’épanouir la créativité humaine. C’est en façonnant et en maîtrisant la matière que l’être humain s’arrache à cette même matière. C’est en investissant tout de lui-même dans un projet concret qu’il expérimente la puissance de son esprit. De même, la possession de biens matériels ne pervertit pas forcément. L’objet matériel ne contient aucun germe corrupteur en soi. Tout dépendra de la motivation qui nous anime dans notre relation avec l’objet désiré. Si la motivation est égoïste ou de consommation, la possession de biens devient corruptrice. Si par contre la motivation est pure, les objets révèlent toute leur beauté et toute leur valeur dans leur relation avec l’être humain. L’objet matériel qui nous impose sa loi sous la forme de l’instinct de possession avide qu’il inspire nous avilit et nous rend esclave. L’objet matériel que nous maîtrisons par notre créativité et par notre amour nous magnifie. Dieu a créé l’être humain pour qu’il expérimente pleinement les beautés de Sa création et non pas pour qu’il se place à l’écart du monde. Dans le monde idéal, l’économie joue un rôle essentiel pour le développement de toutes les facultés que Dieu a placées en l’être humain. Bien entendu, la poursuite d’activités économiques a souvent entraîné bien des abus en société capitaliste. Toutefois, ce n’est pas par la destruction du système que nous remédierons à ces abus, mais par la transformation des esprits à l’intérieur de ce système. Une des conséquences les plus considérables de l’essor économique qui suivit la révolution industrielle fut d’inciter les nations européennes à trouver de nouvelles sources d’approvisionnement de matières premières et de nouveaux marchés pour leurs produits. Cela donna lieu au mouvement de la colonisation qui avait une signification providentielle. Tout d’abord, la colonisation devait permettre, à travers le mouvement missionnaire, la propagation du message chrétien à toutes les nations. Ensuite, la colonisation devait favoriser la transmission du contenu universel de la civilisation occidentale chrétienne à tous les peuples de la terre, concernant en particulier la technologie, l’éducation et les idéaux humanitaires. Le rôle de la culture occidentale chrétienne était de servir de catalyseur à l’unification de toutes les cultures, prélude à l’unification du monde. Ce faisant, les occidentaux n’avaient pas à s’imposer par la contrainte et négliger l’apport des autres cultures, souvent plus riches que la leur dans bien des domaines. Les occidentaux devaient adopter une attitude d’ouverture et de service vis à vis des nations colonisées.

Malheureusement, il n’en alla pas toujours ainsi, malgré l’apport positif de la colonisation. Trop souvent, l’Occident prit une attitude égoïste et arrogante dans ses rapports avec les peuples colonisés. Les nations européennes virent surtout dans la colonisation un moyen de s’enrichir au lieu de considérer ce qu’elles pouvaient apporter de positif aux populations indigènes. D’autre part, les rapports entre colonisateurs et colonisés se faisaient sur la base de l’inégalité. Les colons ne traitaient pas les indigènes comme des humains semblables à eux, mais plutôt comme des êtres d’une catégorie inférieure. Les traditions culturelles locales furent foulées aux pieds sans aucun respect ni considération. Cette série d’abus dus à la colonisation suscita de profonds ressentiments que le temps n’a toujours pas réussi à effacer.

Tableau de Charles Louis de Fredy de Coubertin évoquant le départ des missionnaires (Chapelle des Missions étrangères de Paris).

Tableau de Charles Louis de Fredy de Coubertin évoquant le départ des missionnaires
(Chapelle des Missions étrangères de Paris).

Néanmoins, la propagation du christianisme aux peuples de toute la terre était une chose définitivement acquise. Bien qu’imparfaitement, les nations chrétiennes démocratiques, qui avaient soutenu l’essentiel de l’effort de la colonisation et de l’évangélisation missionnaire – France[3], Angleterre et, à un moindre degré, États-Unis – avaient accompli la mission de l’Occident chrétien au niveau du monde. L’hégémonie de ces nations permit ainsi l’établissement d’un fondement mondial, religieux, politique et économique, en préparation pour la venue du Messie. À l’orée du XXe siècle quatre siècles après le début du mouvement de la Réforme, la providence de Dieu entrait dans une nouvelle ère. Désormais, c’est au niveau du monde que nous devrons considérer toutes les questions providentielles centrales.

[3] En se donnant un régime républicain libéral, la France rejoignit dans la seconde moitié du XIXe siècle le camp des nations démocratiques de tradition chrétienne, qui comprenaient déjà la Grande-Bretagne et les États-Unis d’Amérique.

 

Les guerres mondiales


Toutefois, un péril grandissait à l’horizon qui remettait en cause l’hégémonie des nations chrétiennes démocratiques : la montée de l’Allemagne de Guillaume II qui connaissait alors un remarquable essor économique et engloutissait une partie croissante de ses ressources dans la course aux armements. Avide de nouveaux débouchés et convoitant les colonies des pays démocratiques, l’Allemagne pouvait être tentée d’utiliser son énorme potentiel militaire. C’est ainsi en effet que l’Allemagne, associée à l’Autriche-Hongrie, déclencha en 1914 la première guerre mondiale. Ces deux pays, au nationalisme outrancier et agressif possédaient un régime monarchique absolu. Or, le régime de type monarchique qui, depuis l’époque de Charlemagne, n’avait connu que des échecs, était devenu un obstacle à l’avancée de la providence. La victoire des nations chrétiennes démocratiques lors de la première guerre mondiale porta un coup fatal aux régimes monarchiques qui ne devaient jamais s’en remettre. Un obstacle essentiel sur le chemin du Royaume de Dieu sur la terre avait été écarté.

Une autre conséquence de la guerre fut l’entrée sur la scène mondiale des États-Unis. À la fin de la guerre, le Président Wilson prit une position d’arbitre et imposa sa vision idéaliste d’un nouvel ordre mondial à travers un programme de paix comprenant notamment la création d’une Société des Nations. Ainsi, après la première guerre mondiale, se trouva consolidée la base mondiale des nations chrétiennes démocratiques.

Toutefois, les vainqueurs de la guerre se montrèrent bientôt incapables d’assumer leur rôle providentiel. Aux États-Unis, les idées généreuses du Président Wilson furent abandonnées dès qu’il eût quitté sa fonction et les Américains se réfugièrent dans un isolationnisme égoïste. D’autre part, la Société des Nations prouva son impuissance et son inefficacité. Quant à la France et l’Angleterre, elles ne surent fournir l’exemple de moralité et de vitalité susceptible d’entraîner le reste de l’Europe dans la voie de la démocratie. Au lieu d’adopter l’attitude du pardon, la France maintint des exigences excessives à l’égard de l’Allemagne vaincue. Ainsi, la France imposa à l’Allemagne le versement d’énormes indemnités de guerre, ce qui renforça l’état de misère d’un peuple déjà épuisé par l’effort de la guerre. Les Allemands en gardèrent un sentiment d’humiliation et de rancœur qui fut à l’origine de la montée d’un mouvement comme le nazisme.

Le débarquement en Normandie des troupes alliées en juin 1944.

Le débarquement en Normandie des troupes alliées en juin 1944.

En réaction contre la démocratie, l’Allemagne de même que l’Italie devinrent des dictatures de type fasciste. L’Allemagne d’Hitler se lança dans une politique extérieure de plus en plus agressive, reconstruisant progressivement une formidable armée. La France et l’Angleterre, face aux provocations successives d’Hitler, tentèrent de transiger et de temporiser, pensant pouvoir apaiser ses ambitions dévorantes par une politique conciliante. Les États-Unis, en plein isolationnisme, se tenaient alors à l’écart des affaires européennes. L’indifférence, la division et le manque de fermeté des nations démocratiques n’aboutirent finalement qu’à renforcer le camp des dictatures, ce qui déboucha sur une deuxième guerre mondiale.

Le totalitarisme d’Hitler, par son orientation antidémocratique et antichrétienne, allait totalement à l’encontre du sens de la providence de Dieu. Une de ses caractéristiques significatives était d’exalter le rôle suprême du chef, auquel tous devaient obéissance. Cela était la contrepartie satanique de la figure centrale dont la position est fondamentale dans la providence de Dieu. À l’opposé d’une figure centrale telle que le Messie qui vient pour servir et révéler l’amour de Dieu, le Führer ne venait pas pour servir mais pour être servi. Son autorité était fondée sur la haine, l’arrogance et l’égoïsme. Substituant l’idéal du peuple élu germanique, qui devait asservir le monde par la violence, à l’idéal du peuple élu d’Israël, dont le rôle était de transmettre la bénédiction de Dieu à toutes les nations, Hitler vint comme l’imitation satanique du Messie Jésus. Il est également significatif qu’Hitler ait persécuté le peuple Juif aimé par Jésus et par Dieu. Par tous ces aspects, le totalitarisme de type nazi ou fasciste était un obstacle à la providence de Dieu et il fut définitivement écarté par la victoire des Forces alliées.

Les délégués de 50 nations, toutes en guerre contre l’Axe, se réunissent en Conférence à San Francisco le 25 avril 1945, pour mettre au point de manière définitive les principes devant régir l’Organisation des Nations.

Les délégués de 50 nations, toutes en guerre contre l’Axe, se réunissent en Conférence à San Francisco le 25 avril 1945, pour mettre au point de manière définitive les principes devant régir l’Organisation des Nations.

Les conséquences de la deuxième guerre mondiale furent l’affirmation de la puissance américaine, la ferme implantation de la démocratie dans toute l’Europe occidentale ainsi qu’au Japon, l’indépendance des colonies et la création de l’Organisation des Nations unies, destinée à remplacer la Société des Nations défaillante. Il en résulta un progrès dans le sens de la providence de Dieu, mais déjà une nouvelle menace pointait à l’horizon avec l’accroissement de la zone d’influence de l’Union soviétique qui se trouvait également dans le camp des vainqueurs de la guerre. L’ambition de l’Union soviétique était de promouvoir au niveau du monde le système du communisme par opposition au libéralisme économique et politique de même qu’au christianisme. Le communisme, continuateur du courant Caïn issu de la Révolution française, représente un phénomène absolument exceptionnel dans l’histoire de la providence de Dieu. Aussi est-il indispensable de l’étudier de très près.

 

Le communisme : une religion contre Dieu


Le mouvement communiste germa au XIXe siècle. À cette époque, la misère frappait la classe ouvrière, dans l’indifférence des catégories plus favorisées. Il revenait alors aux chrétiens le devoir de susciter une prise de conscience et une réforme du système. Or, leurs efforts furent insuffisants. Une fois de plus, le christianisme révélait ses limites pour transformer la vie humaine. Cette faillite du christianisme accéléra la diffusion des idées révolutionnaires nées de la Révolution de 1789 en Europe.

C’est parce qu’ils ont été blessés dans leur conscience par une expérience négative de la société que certains deviennent des révolutionnaires. Confrontés à la souffrance, ils ont rencontré l’arrogance au lieu de l’amour. Bouleversés, ils en ont conclu que l’idéal chrétien d’amour ne pouvait vaincre la souffrance. Dès lors, le Dieu chrétien, indifférent ou complice face à une telle injustice, leur apparaît bientôt comme un usurpateur et la religion comme un mensonge flagrant. En reniant Dieu et l’âme, des cœurs purs et assoiffés d’absolu sont tentés par le ressentiment. L’esprit de concorde leur semble synonyme de soumission. Seule la destruction violente transformera le monde. Ainsi, avant même d’avoir une formulation politique, l’esprit révolutionnaire a des racines psychologiques.

Rendus aveugles à tout élément de spiritualité, les révolutionnaires réduisent les rapports humains à la relation économique matérielle. Tout se résume en rapports de pouvoir ou d’intérêt. La seule réalité sociale objective est celle de l’exploitation de l’être humain par l’être humain. Tout élan d’amour ou d’idéalisme qui s’y manifeste est une pure illusion agitée par les dirigeants pour maintenir les opprimés dans les fers. Marx voit dans la religion « la plainte de la créature opprimée, le cœur d’un monde sans cœur, exactement comme elle est l’esprit d’une situation sans esprit. C’est l’opium du peuple. »

Karl Marx sut exprimer et systématiser la mentalité révolutionnaire dans une idéologie. Opérant la synthèse du matérialisme philosophique et des idées révolutionnaires françaises, il définit le matérialisme comme l’idéologie du prolétariat progressiste par opposition à l’idéalisme, idéologie de la classe dirigeante conservatrice. Dogmatique et partisane, la théorie de Marx est l’expression rationalisée des passions révolutionnaires. Elle esquive toute démonstration logique de la non-existence de Dieu et de l’âme.

Marx associa au matérialisme athée la méthode dialectique. Son principe de base est que le conflit régit toutes choses, et notamment les rapports sociaux par le biais de la lutte des classes. Cette contradiction fondamentale est le moteur du progrès historique. Elle n’est donc pas à éliminer, mais à cultiver dans le sens de la révolution. Érigée en principe universel, la dialectique marxiste aboutit à sacraliser le principe même de la violence.

Marx tenait là un instrument idéologique efficace pour organiser les luttes politiques revendicatrices. Beaucoup de révolutionnaires, y découvrant le reflet de leurs propres instincts rebelles, adopteront les théories marxistes.

Il y a enfin dans le communisme un aspect séduisant : sa promesse d’une totale transformation du monde. Cette aspiration est fondamentale chez l’être humain, car nul ne peut être satisfait de l’état de déchéance actuel du monde. Mais cette transformation ne peut prendre une valeur absolue que si elle part d’un mouvement inspiré par Dieu. Le christianisme aurait dû assumer une telle responsabilité. Or, tous les abus perpétués alors au sein du monde chrétien frustrèrent les hommes et les femmes dans leur espoir d’un changement. Ainsi, beaucoup de déçus du christianisme choisirent d’adopter l’alternative de Marx : construire sans Dieu – et même contre Dieu – le monde qu’il ne fut pas possible de construire avec Lui.

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Marx, Engels, Lénine et Staline, affiche de 1953.

Si nous l’analysons en profondeur, le communisme est l’imitation de l’idéal chrétien. Par son ambition de prendre intégralement en charge la condition humaine, il se présente comme une religion où la conscience de classe tient lieu de foi, le prolétariat de peuple élu, la nature bourgeoise de nature pécheresse, l’autocritique des militants de repentir des fidèles, les membres du parti communiste de clergé responsable de la Tradition. Le mythe marxiste de la Révolution rédemptrice débouchant au terme de l’histoire sur une société idyllique trahit le caractère messianique du communisme.

À travers l’antireligion du communisme fondée sur la négation de Dieu et motivée par la haine au lieu de l’amour, nous pouvons clairement percevoir la manifestation de ce pouvoir qui s’est constamment dressé contre Dieu et contre l’être humain à travers l’histoire. Ce courant historique de rébellion débuta avec le personnage biblique de Caïn qui, submergé par le sentiment d’injustice, tua son frère Abel que Dieu semblait privilégier. Pareillement, le communisme exploite tous les ressentiments nés de l’injustice dans un but de violence et de destruction. Sous cet angle, le communisme reproduisait au niveau mondial de la tentation meurtrière de Caïn.

Si toutes les sociétés étaient communisées, il n’y aurait plus de force pour endiguer la violence, et l’humanité se dirigerait vers son anéantissement, tant spirituel que physique. La tentation du communisme est une tentation de mort que l’humanité doit absolument surmonter. Il n’y eut pas de pire menace pour Dieu et l’humanité que l’expansion du communisme qui, à l’idéal de réalisation d’un monde suivant le principe de Dieu, oppose son projet de réalisation d’un monde suivant le principe inverse.

La menace du communisme fut l’ultime obstacle dressé sur la route du Royaume, car la providence se déroule aujourd’hui sur un plan mondial, et le seul mouvement dirigé mondialement contre Dieu fut le communisme. Sur le plan intérieur, l’idéologie marxiste imprégna la mentalité contemporaine. Son influence se reconnaît à son point de vue matérialiste, à sa manière de tout concevoir en termes de rapports d’intérêt, à son choix de la violence physique ou verbale pour résoudre les problèmes, à sa dénonciation systématique de l’autorité sous toutes ses formes, etc. Comble de subtilité et de diplomatie, les marxistes s’accommodent fort bien d’un christianisme privé de son intériorité, au besoin marxisé. L’influence du marxisme fut telle que de nombreux chrétiens troquèrent l’idéal divin proclamé par Jésus contre l’appel marxiste à la justice sociale comme centre de leur foi.

Sur le plan extérieur, les années de l’après-guerre furent dominées par la rivalité opposant les États-Unis, champions du christianisme et du libéralisme, à l’U.R.S.S., chef de file des démocraties populaires.

 

La restauration du couple originel et la révolution sexuelle


Deux types de révolutions mondiales ont ébranlé l’héritage chrétien au XXe siècle : la révolution marxiste-léniniste aux plans politique et économique, la révolution sexuelle au plan des mœurs. L’idée de révolution radicale imite l’idée biblique de fin des temps. Alors que Dieu veut recréer le lien originel entre Dieu et l’humanité, ces deux révolutions voulaient générer au niveau planétaire l’homme nouveau sans Dieu. Toutes deux ont causé d’immenses souffrances physiques et mentales. Surtout, on peut y voir des sacrilèges suprêmes, d’une portée incalculable. Ils représentent un assaut de forces malfaisantes contre Dieu et contre l’humanité.

Nous l’avons dit : la providence du salut consiste à restaurer et recréer l’être humain afin qu’il retrouve sa position et sa valeur perdues. La chute nous fit perdre les promesses de félicité dans le couple et de concorde entre les frères, entraînant deux dérèglements majeurs : d’une part, l’amour entre l’homme et la femme fut perverti, la sexualité devenant ambiguë et tourmentée. D’autre part, la fraternité s’est brisée, et la violence meurtrière s’est amplifiée. Toutes les spiritualités visent à nous éloigner de la dépravation sexuelle et de la haine.

Les forces du mal imitent subtilement les idéaux auxquels nous aspirons. Prétendant abolir l’exploitation de l’homme par l’homme et établir la camaraderie universelle, le communisme généra les pires génocides. Promettant le bonheur dans le couple, la révolution sexuelle a fragilisé durablement l’équilibre psychique et affectif de nos sociétés.

Le marxisme dénonça la trahison de l’amour fraternel dans la société capitaliste. Pour un marxiste, la liberté et l’égalité proclamée par la révolution bourgeoise de 1789 sont purement formelles. La vraie égalité existera entre tous quand le travailleur arrachera de force les biens de production au capitaliste : celui-ci est désigné comme l’ennemi repoussant, à éliminer physiquement ou à rééduquer impitoyablement. La nature bourgeoise, équivalent du péché originel, sera effacée. Tous les êtres humains se retrouveront égaux comme camarades et travailleurs possédant noblement en commun les outils de production. Abolir la propriété privée tuera l’égoïsme.

C’est une solution désespérée à un problème spirituel majeur : la haine fratricide et la pulsion meurtrière. Selon le Principe divin, le désir de tuer découle du péché, comme l’illustre le récit biblique de Caïn et Abel. Caïn cède à un fort sentiment d’injustice en voyant Dieu accepter l’offrande du cadet et rejeter la sienne. Selon le Principe, Abel avait sa part de responsabilité dans cette situation. Il méritait la bénédiction de Dieu, mais aurait dû associer chaleureusement son aîné à l’offrande, au lieu de se considérer comme seul élu.

Cain par Fernand Cormon, Musée d’Orsay, Paris.

Cain par Fernand Cormon, Musée d’Orsay, Paris.

Le XIXe siècle amplifiera la colère de Caïn, dressant contre Abel un procès universel. Le « Caïn » de Lord Byron en 1821 règle ses comptes à Abel. Charles Baudelaire diabolise Abel dans « Race de Caïn, race d’Abel » en 1851. Le marxisme érigera l’extermination mondiale d’Abel en projet systématique. Telle est l’essence du marxisme : évangéliser l’humanité par un discours de haine pure.

Or, la révolution sexuelle est plus grave, même si ses effets sont moins palpables. Elle tend vers l’avilissement de l’âme, là où le communisme torture et humilie la chair. La révolution sexuelle et le marxisme-léninisme veulent créer l’homme nouveau, la première au plan intérieur, le deuxième au plan extérieur. Alors que les régimes communistes maintenaient toute la population dans une sorte de puritanisme militarisé, beaucoup de hauts dignitaires communistes s’illustrèrent par des vies sexuelles totalement débridées, comptant parmi les plus grands prédateurs sexuels de l’histoire. De plus, certains ont cherché l’alliance objective entre les deux courants : le freudo-marxisme s’est illustré avec Wilhelm Reich et Herbert Marcuse.

 

« Horizon indépassable » et « illusion collective »


Sartre présenta le marxisme comme « l’horizon indépassable de notre époque ». Comme tant d’autres penseurs de son temps, la séduction intellectuelle et quasiment religieuse du marxisme l’envoûta, lui ôtant son esprit critique ; le marxisme est une pensée totale, qui semble apporter une solution définitive à tous les problèmes humains, ne laissant aucune place à une autre pensée ou pratique. Le freudisme a longtemps exercé la même fascination. Marx et Freud ont été érigés en maîtres penseurs et prophètes des temps modernes.

Comment ces deux idéologies peuvent-elles ainsi occuper tout le champ intellectuel mondial à une époque donnée de l’histoire ? Nous l’avons dit, elles imitent le plan de Dieu qui est de recréer sur la terre une culture de l’amour vrai perdue à l’aube des temps.

Quel est le noyau de la révolution sexuelle ? C’est une solution désespérée du problème entre Adam et Ève, là où le marxisme croit résoudre le drame entre Caïn et Abel. Les deux sont des phénomènes eschatologiques. Intellectuellement, le marxisme et le freudisme sont des discours pseudo-scientifiques, en réalité dogmatiques. Sur le plan spirituel, ils se nourrissent d’hérésies souvent anciennes et ont engendré deux clergés opaques à la manière de fausses religions.

Dans les deux courants de pensée le procès et l’excommunication de l’adversaire sont souvent grandioses. Quiconque conteste le maître sera diabolisé, bestialisé et infantilisé, réduit à l’état de sous-homme et objet d’un mépris clinique et carcéral à la fois. Ce sont des pensées totales et totalitaires, laissant une place infime au libre-arbitre, des délires de la raison coupée de toute spiritualité. Marx et Freud haïssaient Dieu et voulaient devenir les pères spirituels d’une nouvelle humanité. La défiance réciproque entre purs marxistes et purs freudiens peut s’expliquer par la similitude de deux entreprises de domination mentale chassant sur les mêmes terrains.

 

« Les choses cachées depuis la fondation du monde »


Pour Marx, l’être humain est aliéné parce qu’exploité dans des rapports de production mensongers. Pour Freud, la racine de l’aliénation humaine vient d’un rapport faussé à la sexualité. La cure psychanalytique vise à faire revenir à la conscience des patients les traumatismes de la petite enfance liés à la sexualité et refoulés dans l’inconscient. Cette cure amène le patient à une souffrance suivie d’une « guérison » ou soulagement.

La « psychologie des profondeurs » fait remonter à la conscience les secrets enfouis de la petite enfance, afin de libérer le patient de sa souffrance. Freud emprunta à Aristote le mot de catharsis, qui évoquait au départ la purification des émotions par leur représentation théâtrale.

La catharsis freudienne offre des similitudes avec une technique spirituelle employée par Jésus pour proclamer « les choses cachées depuis la fondation du monde » (Mt 13.35). Alors que Satan était peu mentionné dans le judaïsme, Jésus révèle l’ampleur de ses activités.

Nous avons dit que Jésus venait en tant que Nouvel Adam et Nouvel Ancêtre, avec la mission centrale de donner une vie nouvelle aux êtres humains, descendants du couple originel et voués à la perdition depuis la faute de ses derniers. L’Évangile selon Jean livre un aperçu saisissant de cette technique spirituelle où Jésus semble déballer tous les secrets de famille très lourds, surgis de l’enfance de l’humanité et empêchant l’être humain de renouer avec l’amour de Dieu.

En Jean 8.40-44, Jésus accuse les pharisiens : « Or, maintenant vous cherchez à me tuer, moi, un homme qui vous ai dit la vérité… Vous êtes du diable, votre père, et ce sont les désirs de votre père que vous voulez accomplir. » Comprenant l’allusion (« votre père »), les pharisiens répondent : « Nous ne sommes pas nés de la prostitution ; nous n’avons qu’un seul Père. » Mais Jésus veut dévoiler un scandale dépassant la simple mauvaise foi des pharisiens et leur dit : « Si Dieu était votre Père, vous m’aimeriez, car c’est de Dieu que je suis sorti et que je viens ; je ne viens pas de moi-même ; mais lui m’a envoyé. » Puis vient un passage rappelant catharsis psychanalytique et qui prend tout son sens à la lueur du Principe divin : « Vous êtes du diable, votre père, et ce sont les désirs de votre père que vous voulez accomplir. Il était homicide dès le commencement et n’était pas établi dans la vérité, parce qu’il n’y a pas de vérité en lui : quand il profère le mensonge, il parle de son propre fonds, parce qu’il est menteur et père du mensonge » (Jean 8.44).

Jésus proclame ici la fin imminente du monde ancien et la venue possible du monde nouveau, si l’être humain se libère d’un triple fardeau : un mélange de pulsions obscènes, d’intentions meurtrières et d’aveuglement mensonger. On est ici en pleine guerre spirituelle contre l’ennemi acharné de Dieu. Satan est présenté comme la source d’où jaillissent nos envies irrésistibles de fornication, de meurtre et de mensonge, que nous avons tant de peine à maîtriser.

Dans un monde attiré par le matérialisme mais nostalgique d’une certaine profondeur, la psychanalyse projeta sur un domaine très obscur les lumières de la seule raison, là où pendant des siècles, la spiritualité avait apporté son éclairage et sa sagesse.

Trois domaines de la psychanalyse sont particulièrement ambigus : la théorie du moi, la théorie des pulsions, et le complexe d’Œdipe. Nous limiterons la discussion à un seul aspect, à savoir que ces théories imitent la vérité mais la pervertissent en profondeur.

Sigmund Freud, le père de la psychanalyse (1856-1939)

Sigmund Freud, le père de la psychanalyse (1856-1939)

Premièrement, le freudisme propose une vision de l’être humain arbitrairement amputée de toute dimension métaphysique. L’ontologie est absente, esquivant une discussion sérieuse sur l’essence de l’être humain. La psychanalyse freudienne réfute l’unité du moi, de sujet transcendantal qui dit : « je », et se comporte en sujet libre, conscient et responsable. Pour rendre compte de la condition humaine, la pensée occidentale a toujours vu en l’être humain une liberté incarnée, composé d’une personne spirituelle et d’une personne physique, et comportant d’une part des aspirations à des valeurs spirituelles (le vrai, le beau et le bien), d’autre part, des désirs charnels. La civilisation occidentale n’a jamais sous-estimé, bien au contraire, la puissance aveuglante des passions et des émotions, mais a toujours affirmé que le propre de l’être humain est de chercher à les maîtriser. Freud a toujours tourné le dos à une approche ontologique et s’est efforcé de bricoler une vision scientiste et réductionniste de l’être humain où les étages inférieurs et inconscients de la psyché sont censés expliquer les créations supérieures de la liberté (théorie dite de la sublimation). Les freudiens se sont toujours trouvés très embarrassés quand on les confronte sérieusement sur le vrai, le beau et le bien. Or, c’est là justement que l’imitation grossière apparaît. La psychanalyse aime caresser le divin en l’homme (parce que celui-ci fait profond et grave), mais au lieu de voir l’image de Dieu incarnée en l’être humain, elle croit savoir que l’être humain se transcende en quelque sorte tout seul, et s’auto-divinise. Fasciné par les faits religieux, Freud montra pourtant une totale incompétence pour les comprendre et ses théories nous replongent dans un monde païen et tragique, préchrétien, où l’être humain est le jouet de forces naturelles et surnaturelles. Curieusement, maints grands esprits ont longtemps adoré cette idole.

Deuxièmement, Freud crut habiller d’un langage pseudo-scientifique ce qu’il appela les pulsions d’Eros et Thanatos, la première étant une pulsion de jouissance et de vie, la deuxième une pulsion de mort dirigée contre soi-même et parfois contre autrui. Pour Freud, ces pulsions sont inhérentes à l’être humain. Comme d’autres penseurs germaniques, Freud baignait dans les thèmes de l’imaginaire allemand, chers à ses peintres et à Schubert : « la jeune fille et la mort ». Ce thème combine les thèmes de la vanité et de la séduction sexuelle. Parfois, la jeune fille pubère, aux caractéristiques sexuelles fraîches et éclatantes, est contrastée avec la petite fille asexuée qu’elle a été et la vieille femme décharnée aux seins secs qu’elle sera un jour. Maints tableaux allemands soulignaient ainsi que la beauté du corps est aussi triomphale et enivrante qu’éphémère. Mais plusieurs peintres ajoutèrent un élément démoniaque : la jeune fille innocente est accostée non pas par un beau jeune homme mais par un sinistre squelette suintant la mort.

La jeune fille et la mort.

La jeune fille et la mort.

Le Principe divin donne un éclairage à ces obsessions autour de la sexualité féminine. Dans le récit de la Genèse, Dieu avertit Adam et Ève : s’ils mangent du fruit, ils mourront. Nous avons déjà souligné que le fruit défendu symbolise l’amour sexuel d’Ève, qui pouvait être symbole de vie éternelle ou alors de mort spirituelle selon l’usage qu’elle en ferait. En commettant l’adultère avec l’ange symbolisé par le serpent, puis en précipitant Adam dans la chute, Ève devint pour ses descendants l’arbre de la connaissance du mal que seul pourra racheter la nouvelle Ève.

Quand Freud parle d’Eros-Thanatos, il désigne un désir sexuel séparé de l’amour de Dieu, et comportant un élément de passion aveuglante : on se trompe d’objet d’amour, et on trompe le partenaire que l’on devait aimer. Après la chute, la sexualité masculine et la sexualité féminine devinrent toutes deux compliquées, par exemple dans le mythe de Don Juan. Thanatos, la pulsion de mort, désigne donc la mort spirituelle semée par l’amour aveugle et adultère. Mais c’est aussi la pulsion meurtrière. Caïn, le fils aîné d’Ève, frappera son cadet Abel jusqu’à le tuer.

Selon le Principe divin, l’être humain doit d’abord renoncer à la violence et à la chicane, pacifier ses humeurs belliqueuses, apprendre à être doux. Ensuite commence un travail encore plus intérieur, visant à séparer le désir sexuel de ses aspects troubles et avilissants, afin qu’il retrouve sa signification céleste, où l’homme et la femme reproduisent l’image de Dieu en devenant une seule chair. Le freudisme imite ces démarches mais nous en éloigne.

Abordons enfin le complexe d’Œdipe ; Œdipe, personnage de l’antiquité grecque, qui inspira Eschyle et Sophocle, accomplit involontairement et inconsciemment l’oracle de Delphes, tuant son père Laïos et épousant sa mère Jocaste. Or, le parricide, et l’inceste d’un fils avec sa mère sont des crimes monstrueux. Les Grecs aimaient se faire des frayeurs avec ces mythes au lieu d’en questionner le bien-fondé. Le fameux « complexe d’Œdipe », dans le freudisme, est censé être un trait universel de la condition masculine. En 1897, Freud affirme avoir « trouvé en moi comme partout ailleurs des sentiments d’amour envers ma mère et de jalousie envers mon père, sentiments qui sont, je pense, communs à tous les jeunes enfants ». Les sentiments de Freud et le recours au mythe d’Œdipe semblent bien minces pour bâtir une théorie scientifique, et cela a toujours suscité le scepticisme de ceux qui ont une formation scientifique. Mais l’analyse de la pseudoscience déborderait le cadre de notre étude. Intéressons-nous plutôt à ce qui imite l’éclairage spirituel, notamment de la Bible.

Le complexe d’Œdipe met en scène un trouble sexuel impliquant trois personnages : Laïos est le père et le roi tué, Jocaste est la reine-mère devenue veuve et que son fils va épouser, Œdipe est un enfant qui tue son père sans le savoir, devient roi sans le vouloir puis épouse sa mère sans le savoir.

Le récit biblique de la chute met aussi en scène trois personnages : Adam est le fils appelé à devenir père, puis roi avec la grâce de Dieu, mais qui sera déchu par sa faute. Ève est sa future épouse, qui l’entraîne dans la chute, après avoir fauté avec le serpent. Là où le mythe grec déresponsabilise les êtres humains, le récit biblique montre que les trois personnages ont sciemment transgressé le commandement de Dieu. Dans le récit biblique, Adam est destiné à épouser Ève, qui est aussi sa sœur. Tous deux sont promis à la félicité, car par leur union, ils deviendront l’image de Dieu. Mais un troisième personnage rôde dans le jardin d’Éden, sous la forme du serpent tentateur. Il incite Ève à manger le fruit défendu de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, grâce auquel elle sera comme Dieu. Elle se laisse tenter, puis tente Adam, et tous deux ont alors honte de leur nudité. Dans ce récit, le mensonge et la ruse permettent à la passion sexuelle de briser l’interdit. Jésus ajoutait que le diable est homicide depuis le commencement. Pourquoi ?

Prenons cet extrait de l’Aboth du Rabbin Nathan (Talmud), qui dévoile les motivations de la chute : « À l’époque, le rusé serpent se dit en son cœur : « Puisque je ne suis pas capable d’entraîner Adam dans la chute, j’irai vers Ève et la ferai chuter. » Il alla, s’assit à ses côtés et parla beaucoup avec elle (…). Que projetait alors le rusé serpent ? Il se dit : « Je taillerai Adam en pièces. J’épouserai sa femme, et je serai le roi du monde et je jouirai des plaisirs royaux. » »

La Bible ne mentionne aucune trace de fils parricide et incestueux, comme dans le mythe d’Œdipe mais on trouve beaucoup d’adultères liés à des luttes de pouvoir et un grand nombre de meurtres entre frères. Pourquoi Freud fut-il fasciné par le mythe grec et rétif au message biblique ? René Girard livre peut-être la clef, quand il compare l’histoire de Joseph, fils de Jacob, au mythe d’Œdipe. « Œdipe est chassé de Thèbes à deux reprises, et chaque fois pour une raison que le mythe tient pour valable. Dès sa naissance, il représente un danger réel pour sa famille et pour la ville tout entière. La seconde fois, il a bel et bien tué son père, couché avec sa mère et provoqué l’épidémie de peste. Joseph est, lui aussi, chassé deux fois : la première fois par sa famille alors qu’il est enfant, puis, en tant qu’adulte, par l’ensemble de la communauté égyptienne qui le croit coupable d’avoir couché avec l’épouse de son protecteur. Ce crime équivaut à l’inceste commis par Œdipe, mais, à l’inverse des Égyptiens et des Grecs qui croient sans preuves à ce type d’accusation, la Bible y voit, elle, un mensonge. À chaque reprise, Joseph est accusé à tort et injustement puni. »

En réalité, il faudrait aller plus loin. Toute l’éducation biblique a consisté à reprendre des mythes et des légendes auxquels tous les autres peuples voisins croyaient et à les retourner en prouvant que l’être humain est libre et responsable, et que le mal n’est pas une fatalité ni une donnée naturelle.

Le freudisme a consisté à créer un bricolage pseudo-scientifique, et à remythifier une société qui ne voulait pas s’adonner totalement au matérialisme et voulait un peu de sacré et de sacrilège en s’épargnant tout effort véritable vers ce qui est à la fois sain et saint.